Pol Pierart
Détournement de fond
Le Musée de la photographie de Charleroi met à l’honneur les aphorismes photographiques de Pol Pierart, artiste aussi discret qu’essentiel. Intitulée De progrès ou de force, cette exposition révèle toute la virtuosité d’un maître du jeu de mots et du détournement de fond. Nimbées d’un humour mélancolique et d’une élégance minimaliste, ses images pointent avec allégresse l’implacable absurdité de l’existence.
“Ni vieux, ni naître”, “le fond de l’air est frais, le fond de l’être effraie” ou encore : “puisque nous n’avons pas d’avenir, ayons un présent”. Voilà plus de trente ans que Pol Pierart nous gratifie de ses aphorismes, maximes subversives et autres irrésistibles calembours. De bons mots souvent drôles, parfois hautement poétiques (“Ma ville après la pluie est belle comme une femme qui sort de sa douche”) voire philosophiques, inscrits sur de petits bouts de papier et toujours mis en scène dans des photographies en noir et blanc. Ces images sont peuplées d’objets du quotidien, comme des ours en peluche, des meubles (cette chaise vide avec écrit sur l’assise “personne”), ou de ses autoportraits ahuris.
Déchiffrer des lettres
Dans ses compositions, le Liégeois de 69 ans (qui est aussi peintre) joue avec les doubles (ou triples !) sens, efface les lettres pour mieux faire dérailler leur contenu. En glissant par exemple le bout de votre pouce sur le bas du “B” de “Je me sens bien”, vous obtiendrez une phrase un brin plus nihiliste. Il inverse aussi les phonèmes (“deuil pour deuil, an pour an”) ou coupe littéralement les verbes à la hache pour leur donner une autre signification (“me-priser”). Le tout sans jamais se départir d’une science certaine de la cocasserie, histoire de mieux sourire des aléas propres à notre condition humaine, de révéler sans gravité nos fragilités, petites joies précieuses ou illusions. En cela, « le côté ludique et l’humour sont autant de moyens de renforcer le propos », explique l’intéressé. Sérieux donc, mais surtout sans en avoir l’air…
Ceci n’est pas du surréalisme
À bien y regarder, cette filouterie n’est pas sans évoquer un autre célèbre poète visuel belge. « Il y a du Marcel Mariën dans cette œuvre », observe Xavier Canonne. Le directeur du Musée de la photographie de Charleroi n’a ainsi pu résister « à la tentation de l’associer, tout au moins dans l’esprit », à la belle et très complète exposition qu’il consacre en parallèle à la photographie surréaliste, même si Pol Pierart ne se revendique pas de ce mouvement, ni d’aucun autre d’ailleurs. En somme, il est incas(s)able.