Elliott Erwitt
Un œil dans le rétro
Entrer dans le monde d’Elliott Erwitt, c’est traverser le XXe siècle le sourire aux lèvres. Disparu le 29 novembre dernier à l’âge de 95 ans, le doyen de l’agence Magnum aura photographié des figures politiques, des stars de cinéma, des milliers de passants, de femmes et d’enfants, mais aussi des centaines de chiens (ces « gens avec plus de cheveux »). Le point commun entre toutes ses images ? Un humour malicieux, et surtout un regard empli d’humanité.
C’est un baiser iconique. L’image d’un bonheur amoureux fugace mais devenu éternel. Pris en 1955 sur une plage de Californie, ce cliché en noir et blanc montre un couple s’embrassant dans le reflet d’un rétroviseur, tandis que le soleil se meurt dans l’océan, en arrière-plan. Le cadre dans le cadre, les lignes horizontales et verticales, ces secondes brûlantes d’humanité… Tout ou presque Elliott Erwitt se trouve dans cette photo, laquelle n’a rien d’une mise en scène. « Ils étaient dans leur voiture, j’étais juste à côté », commentera-t-il. L’homme était doué de cette faculté rare de saisir les instants, « une capacité innée à se trouver au bon endroit », ajoute Isabelle Benoît, l’une des commissaires de cette rétrospective réunissant à Bruxelles plus de 200 clichés, la dernière conçue du vivant du Franco- Américain. Mais qu’on ne s’y trompe pas, son oeuvre ne se réduit pas à la “street photography”.
Cadrages au poil
Autodidacte (il s’est formé « en lisant les instructions sur la boîte » de son appareil), Elliott Erwitt demeura d’abord un grand photojournaliste. Il fut par exemple le premier à révéler, lors d’un reportage à Moscou en 1957, la menace des ogives nucléaires soviétiques. Durant ses 70 ans de carrière, il immortalisa également les vedettes d’Hollywood (sublime Marilyn sur le tournage tendu de The Misfits) et moult personnalités politiques, de Che Guevara à Nixon s’embrouillant avec Khrouchtchev, en passant par Jackie Kennedy, une larme sur sa voilette lors des obsèques de son mari. Il répondit aussi à nombre de commandes, souvent en couleur : pour des agences publicitaires, de voyage, des entreprises… « Il ne refusait rien, car pour lui tout était intéressant », souligne Andréa Holzherr, responsable des expositions pour Magnum.
Et puis au milieu de tout ça il y a… les chiens. « C’est pour lui une sorte de miroir de notre humanité », selon Isabelle Benoît. Erwitt les saisit dans la rue et toute leur spontanéité (en aboyant pour les faire réagir) ou les met en scène pour des marques de chaussures, inaugurant le cadrage au ras du sol. Dans l’une de ses célèbres compositions, des jambes bottées sont ainsi entourées par les grandes pattes d’un danois et par un chiwawa coiffé d’un bonnet, dans une drolatique confusion des espèces… On aura toutou vu !
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