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Dans l'œil d'Elliott Erwitt

Photographer Elliott Erwitt, San-Francisco, California, 1979
© Elliott Erwitt / Magnum Photos

Il fut l’un des plus grands photographes du XXe siècle et de ce début de millénaire. Disparu en novembre dernier à l’âge de 95 ans, Elliott Erwitt laisse derrière lui une œuvre immense. Son objectif a immortalisé pléthore de figures historiques, de Che Guevara à Marilyn Monroe, des campagnes de publicité devenues iconiques, des milliers d’inconnus célébrés dans des scènes tantôt drôles ou touchantes, mais aussi… des chiens. Passée par Lyon et Paris, désormais visible à Bruxelles, cette rétrospective (la dernière conçue du vivant du Franco-Américain et par lui-même) révèle les nombreuses facettes d’un travail profondément humaniste. Isabelle Benoît, directrice de la programmation culturelle de l’agence Tempora, et Andréa Holzherr, responsable des expositions à l’agence Magnum Photos, nous dévoilent les contours de cet événement.

Qu’est-ce qui caractérise le style d’Elliott Erwitt ?

Isabelle Benoît : C’est à la fois un très grand artiste et un grand observateur du monde et du siècle qu’il a traversé.

Andréa Holzherr : C’est avant tout un photographe humaniste, avec une pointe d’humour.

Oui, d’ailleurs il avait déclaré : “je ne rigole pas avec l’humour”…

A.H. : Ah, c’est bien de lui ça ! Disons que c’est humour un peu grinçant, pas tout lisse ni gras non plus.

I.B. : Mais en tout cas jamais dégradant. Il ne s’est jamais moqué de ses sujets, on sent chez lui un profond respect pour les gens qu’il a photographiés.

Peut-on dire qu’il glissait aussi quelques observations politiques dans ses images ?

A.H. : Il n’était jamais moralisateur, mais pointait en effet les sujets qui fâchent, comme le sexisme, les droits civiques, le racisme.

Il avait aussi cette faculté à saisir l’instant, à l’image de ce cliché du baiser dans le rétroviseur, n’est-ce pas ?

I.B. : Oui, il avait cette capacité innée à se positionner au bon endroit en attendant qu’il se passe quelque chose. Et souvent, il se passait quelque chose ! Il disait que la photo était là, et qu’il fallait juste la trouver.

California, USA, 1955 © Elliott Erwitt / Magnum Photos Images for use only in connection with direct publicity for the exhibition "Retrospective " by Elliott Erwitt presented at Musée Maillol, Paris, France, from 22 March to 24 September 2023, beginning with the signature of the exhibition lease agreement and until the end of the exhibition. These images are for one time non-exclusive use only and must not be electronically stored in any media asset retrieval database •         Up to 3 Magnum images can be used without licence fees for online or inside print use only. Please contact Magnum to use on any front covers. •         Images must be credited and captioned as outlined by Magnum Photos •         Images must not be reproduced online at more than 1000 pixels without permission from Magnum Photos •         Images must not be overlaid with text, cropped or altered in any way without permission from Magnum Photos.

California, USA, 1955 © Elliott Erwitt / Magnum Photos

Quelle formation a-t-il suivie ?

I.B. : Aucune, c’était un autodidacte. Lorsqu’on lui demandait son secret pour réussir de bonnes photos, il répondait simplement qu’il fallait lire les instructions sur la boîte de l’appareil !

A.H. : Oui, la plupart des photographes du début du dernier siècle n’ont reçu aucune formation. C’étaient avant tout des hommes de terrain, qui ont appris à travers la pratique. C’était aussi, je crois, le propre de l’agence Magnum : il y avait cette fraternité, chacun apprenait des autres et les plus anciens transmettaient aux plus jeunes.

Justement, comment est-il entré au sein de l’agence Magnum Photos ?

A.H. : En tant que jeune Américain, il a suivi son service militaire en Allemagne. Au début des années 1950, après la guerre, et il est allé directement à l’agence Magnum pour se faire enrôler. Robert Capa, l’un des fondateurs, l’avait repéré. Elliott avait alors 20 ans et il y est resté jusqu’à la fin. Il a été envoyé par l’agence partout dans le monde. Il l’a même présidé durant les années 1960.

USA. New York City. 2000. © Elliott Erwitt / Magnum Photos

USA. New York City. 2000. © Elliott Erwitt / Magnum Photos

Comment travaillait-il ?

I.B. : Elliott Erwitt était doué d’une grande créativité, dans sa vie comme dans sa pratique professionnelle. Il utilisait par exemple un klaxon lors des photos de groupe pour détendre l’atmosphère et obtenir des réactions spontanées. Pour ses autoportraits, il se déguisait souvent. Par ailleurs, il avait toujours avec lui deux appareils : un Leica et un Rolleiflex, passant de l’un à l’autre, d’un monde à l’autre. Parallèlement, il a mis au point son style très tôt, dans les années 1950, ce qui offre une grande constance à son œuvre. Il consolidera son style au fil de sa carrière. Le monde changera mais lui le photographiera toujours de la même manière. C’est une manière de montrer que l’humanité reste la même.

A.H.: Oui, malgré les évolutions techniques, qu’il suivait, il ne changera jamais de langage, même pas pour les commandes publicitaires et c’est d’ailleurs pour ça qu’il en a eues autant, car les gens recherchaient ce style si particulier. À chaque fois que je visite cette exposition, je suis très émue, constatant à quel point il est là, présent dans chacune de ses images. Ce n’est pas le cas de tous les photographes, cette capacité de transcender son travail de manière aussi personnelle…

Advertisement for French tourism, Paris, France, 1963 © Elliott Erwitt / Magnum Photos Images for use only in connection with direct publicity for the exhibition "Retrospective " by Elliott Erwitt presented at Musée Maillol, Paris, France, from 22 March to 24 September 2023, beginning with the signature of the exhibition lease agreement and until the end of the exhibition. These images are for one time non-exclusive use only and must not be electronically stored in any media asset retrieval database •         Up to 3 Magnum images can be used without licence fees for online or inside print use only. Please contact Magnum to use on any front covers. •         Images must be credited and captioned as outlined by Magnum Photos •         Images must not be reproduced online at more than 1000 pixels without permission from Magnum Photos •         Images must not be overlaid with text, cropped or altered in any way without permission from Magnum Photos

Advertisement for French tourism, Paris, France, 1963 © Elliott Erwitt / Magnum Photos

Qu’en est-il du cadrage, de la lumière de ses photographies ?

I.B. : Pour son travail personnel, il utilisait exclusivement la lumière naturelle, sachant la capter de façon très subtile. Il n’y a ici aucun d’artifice, pas de retouches ni de reprises. Par contre, pour certains travaux de commande, il a pu utiliser des projecteurs, par exemple. Quant à la composition, on observe dans ses images beaucoup de verticalité, d’horizontalité, de cadres dans le cadre et puis, parfois, des lignes obliques, de la contre-plongée, des points de fuite… L’autre aspect intéressant, c’est l’utilisation des reflets, des nuances, par exemple quand il travaille sur la plage anglaise, montrant une infinité de gris, de dégradés de blancs ou de noirs.

Parmi les nombreux sujets qu’Elliott Erwitt a traités, les chiens tiennent une bonne place. Comment cette passion est-elle née ?

I.B. : Au cours de sa carrière, en regardant ses planches-contacts, il s’est rendu compte qu’il y avait beaucoup de chiens sur ses photographies. Il a alors commencé à les photographier. C’était pour lui une sorte de miroir de notre humanité, un prolongement. Il trouvera chez ces animaux la fidélité du compagnonnage mais aussi une grande diversité d’êtres. Pour les photographier de manière spontanée et naturelle, il inaugure une technique singulière : dans la rue, il se place derrière les passants et aboie pour provoquer une réaction du chien. Celui-ci lui permettra aussi d’inaugurer le cadrage au ras du sol, pour une marque de chaussures notamment. Logique : ce sont les chiens qui les voient le mieux ! En 1974, il réalisera par exemple ce cliché devenu célèbre, dans lequel un danois et un chiwawa coiffé d’un bonnet encadrent des jambes bottées, entretenant une drôle de confusion entre les espèces.

New-York, USA, 1974 © Elliott Erwitt / Magnum Photos Images for use only in connection with direct publicity for the exhibition "Retrospective " by Elliott Erwitt presented at Musée Maillol, Paris, France, from 22 March to 24 September 2023, beginning with the signature of the exhibition lease agreement and until the end of the exhibition. These images are for one time non-exclusive use only and must not be electronically stored in any media asset retrieval database •         Up to 3 Magnum images can be used without licence fees for online or inside print use only. Please contact Magnum to use on any front covers. •         Images must be credited and captioned as outlined by Magnum Photos •         Images must not be reproduced online at more than 1000 pixels without permission from Magnum Photos •         Images must not be overlaid with text, cropped or altered in any way without permission from Magnum Photos.

New-York, USA, 1974 © Elliott Erwitt / Magnum Photos

Comment choisissait-il entre le noir et blanc et la couleur ?

I.B. : Le noir et blanc était réservé à son travail personnel, les sujets lui tenant à cœur. La couleur, c’était pour les commandes. En revanche, lorsque vous êtes face à une photographie en noir et blanc… ça peut aussi être un travail de commande ! Lui-même jouait avec ces différences, brouillait les pistes.

 L’éclectisme de son travail est frappant, entre le photojournalisme, les travaux plus personnels mais aussi de commande pour des agences de tourisme, publicitaires, des entreprises…

I.B. : Oui, il y a une grande diversité dans ses terrains de jeu mais une unité dans la forme. Il a tout photographié, sauf la guerre – ce qui est assez unique. Il était à l’aise en toutes circonstances. Il ne refusait aucune commande car, pour lui, tout était intéressant. Durant sa jeunesse il a vécu dans plusieurs pays. Ses parents étaient d’origine russe, il est né en France et a grandi en Italie avanr de s’installer en Amérique. Il a cette capacité à se fondre dans des mondes différents, que ce soit des marchés à New York, des défilés de mode, des plateaux de cinéma ou des parades militaires…

A.H. : Il ne faut pas oublier qu’Elliott était aussi propriétaire d’une agence. Les commandes arrivaient et étaient distribuées aux photographes. Il prenait ce qu’il y avait : un tournage, un reportage sur l’URSS, une campagne de publicité pour promouvoir le tourisme à Paris… Lui se voyait avant tout comme un travailleur, un artisan et même un amateur, en tout cas pas comme un artiste, c’est la différence fondamentale. C’est une forme d’humilité mais aussi une réalité. Il allait là où on l’envoyait et il faisait des photos parce qu’il aimait ça passionnément.

Propos recueillis par Julien Damien / Photo : Photographer Elliott Erwitt, San-Francisco, California, 1979
Informations
Bruxelles, 5 Grand-Place
07.06.2024>05.01.2025mer > lun : 10h-18h (+ mardi durant les vacances scolaires), 16 > 8€ (gratuit -6 ans)
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