Ceslovas Cesnakevicius
L'illusionniste
Ici un nuage attrapé dans un filet comme un papillon, là une gigantesque pomme transformée en maisonnette ou encore un champ de châteaux de cartes grandeur nature… Aucun doute, Ceslovas Cesnakevicius est doté d’un pouvoir très spécial : celui de transformer la réalité à sa guise, pour créer autant de mondes parallèles, aussi drôles qu’oniriques. Ce Lituanien, qui qualifie volontiers son œuvre de “surréaliste”, est en cela aidé par un personnage coiffé d’un chapeau haut-de-forme et parcourant ses images pour mieux en révéler la magie. Serait-ce un double de l’artiste ? Voire son allégorie ? Réponses…
Quel est votre parcours ? Je suis né en Lituanie. Après l’école, à la fin des années 1990, j’ai étudié l’ingénierie puis trouvé un emploi avec un revenu relativement stable. Jusqu’à la vingtaine, je n’ai jamais rien eu à voir avec les arts, mais j’ai toujours apprécié les images originales et amusantes. En 2002 (je me souviens exactement de l’année), j’ai entendu parler d’un programme appelé Photoshop, permettant de mélanger des photos et de créer de nouvelles images. Par exemple, en mettant le visage de mon amie sur le corps de Britney Spears, ce qui était extrêmement drôle à l’époque – je me demande si ça ne me causerait pas d’ennuis en 2024… Quoi qu’il en soit, c’est comme ça que j’ai débuté la photographie et le montage : juste pour rire.
De quand datent vos premières créations artistiques ? En 2003, je me suis dit qu’on pouvait faire plus que simplement se moquer. Et une fois que vous commencez à créer, tout change : votre façon de voir, penser et ressentir. J’ai toujours été un grand observateur de la nature. Lorsque j’étais enfant, j’avais l’habitude de regarder les nuages dans le ciel qui dessinaient toutes sortes d’objets imaginaires, les vagues de la mer former des paysages…
Comment définiriez-vous votre style ? Je parlerais volontiers de surréalisme. Mes images viennent d’un état de rêve, d’une manière ou d’une autre. Je le qualifierais aussi de contemporain, car il explore l’actualité moderne : les séries Réalité génétiquement modifiée, Le zoo et Les Gens invisibles parlent de nous et de ce qui se passe dans le monde.
Difficile de ne pas penser à Magritte devant votre œuvre. Est-ce une référence pour vous ? J’entends cette comparaison tout le temps. Mais je l’accepte, c’est un honneur pour moi, même si son travail m’a tardivement touché. Ma source d’inspiration, à l’origine, c’était plutôt Pieter Brueghel l’Ancien, un excellent conteur visuel. Je suis un grand fan d’art en général.
Quelle est l’histoire du personnage au chapeau apparaissant dans vos compositions ? Il est né avec l’image Cloud Hunter, que j’ai réalisée en 2007. J’observais le ciel quand, tout à coup, un nuage s’est légèrement tourné, comme si quelqu’un le compressait. C’est ainsi que m’est venue l’idée d’un illusionniste, un petit homme vêtu de noir faisant de la magie avec les paysages, réalisant des tours à grande échelle. Et je suis son humble représentant.
Concrètement, comment travaillez-vous ? Je commence par l’image, puis développe une idée. Ou alors j’ai d’abord l’idée, puis collectionne des photographies pour créer l’image. Au fil des années, la deuxième méthode a tendance à prendre le dessus. Et je n’utilise que mes propres photos.
Quel est votre objectif ? S’agit-il de nous montrer que la réalité peut être relative ? Je veux d’abord raconter une histoire et partager une émotion. Surprendre les spectateurs. Mais, oui, la réalité est absolument relative. Imaginez deux personnes. L’une est, disons, très instruite, avec beaucoup de responsabilités, toujours occupée, stressée par sa prochaine mission, avec de l’argent et une belle maison dans laquelle elle ne fait que dormir. L’autre personne est un facteur de village, travaillant de 8h à 17h, livrant le courrier aux gens qu’il connaît, discutant avec ses voisins. Il n’est pas aussi riche que l’autre, mais son quotidien est relativement calme. Alors, quelle vie qualifieriez-vous de plus heureuse ? Certains citeraient la première, d’autre pas. La réalité dépend donc de la façon dont nous percevons les choses. Enfin, je pense.
Quelle serait votre création préférée parmi cette sélection ? La poire, de la série Réalité génétiquement modifiée. La logique a toujours été le pilier de ma perception de la réalité, mais ces dernières années ont bouleversé cette façon de penser, comme la pandémie de Covid, par exemple, sur laquelle, pour être honnête, je n’ai toujours pas d’opinion claire. Il y a là un ensemble d’événements illogiques, mêlés de mensonges de toutes parts à des fins politiques et financières, de manque de connaissances et de manipulation via les réseaux sociaux. Si la science n’a pas de position solide sur un sujet, alors les discours diffusés sur Facebook, Twitter et autres formeront une opinion à sa place. Je ne suis un expert en rien dans cette vie, mais j’ai un esprit curieux et je me demande : si nous pouvons modifier la nourriture, changer les faits historiques, nier la science, sommes-nous au stade où la réalité du grand public peut être modifiée ? Les plateformes sont-elles la réalisation ultime de l’humanité telle que nous la connaissons, et mèneront-elles à de nouvelles existences artificielles et scénarisées ? Tel est le propos de cette série, qui est plus largement dédiée aux graffeurs, les artistes ultimes.
Sur votre site, vous vulgarisez la création d’images surréalistes. Pourquoi ? Je suis un homme généreux ! Plus sérieusement, j’aime partager, et si une âme perdue peut trouver de l’inspiration dans mes petits messages…
Quels sont vos projets ? Mon dernier événement marquant remonte à longtemps, en 2017 à Paris. J’espère monter une exposition sur la Réalité génétiquement modifiée d’ici fin 2024. Mon art mérite un accrochage à grande échelle. Je suis sûr que cet article m’aidera !
Nous célébrons cette année le centenaire du surréalisme. Allez-vous célébrer cet événement ? J’adore ce mouvement. Et, oui, je vais fêter cet anniversaire en essayant de créer autant que possible. Les surréalistes sont cependant en danger, car le soi-disant “monde réel” tente de brouiller les pistes et pioche dans le bagage surréaliste, en produisant des événements qui n’ont aucun sens…
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