Home Best of Interview Grandpamini

La presse revue

(c) Grandpamini

Connaissiez-vous Destination Burn-Out, “le guide du manager toxique”, Appropriation culturelle magazine (et ses bons conseils pour devenir latino !), Radin Malin ou encore Escrotérisme (“la spiritualité au service de votre portefeuille”) ? Non ? C’est normal, ces revues n’existent pas. Enfin si, mais seulement à l’état de couverture. Ces titres fictifs ou parodiques sont nés de l’imagination fertile de Juan Loaiza, aka Grandpamini – les quadras auront reconnu la référence aux Minipouss. Depuis un peu plus de deux ans, ce DJ parisien met son sens du nonsense et du sampling au service d’hilarants pastiches de presse publiés sur les réseaux (et disponibles en affiches), quelque part entre le Gorafi et les sketchs de Chris Esquerre. On l’a interviewé, pour de vrai.

Comment vous est venue l’idée de créer ces Unes satiriques ? En fait, dès que j’ai eu Internet, je m’en suis servi pour publier des blagues. J’ai fondé avec des potes un site humoristique qui s’appelait 10 min à perdre, ensuite on a travaillé sur un format court pour Canal +, La Question de la fin, en 2012. À côté de ça je suis aussi DJ. Pendant le confinement je ne pouvais plus bosser, donc je me suis remis à faire des bêtises sur le Web… jusqu’à créer la Une d’Escalator magazine. C’était surtout pour amuser les copains, et ça a bien marché sur les réseaux. J’ai donc enchaîné avec Passion concombre. À partir de là j’étais coincé, et obligé d’en sortir une par semaine !

Qu’est-ce qui vous inspire en général ? Il y a beaucoup de moi là-dedans. Quand je suis malade par exemple, je sors un truc sur les médicaments ! De façon plus générale, je dirais qu’il y a deux axes dans mon travail : absurde d’abord, car j’adore François Rollin et Chris Esquerre. L’autre dimension, c’est évidemment le regard sur l’actualité, comme le mouvement MeToo, la lutte contre le patriarcat, le wokisme… des terrains très fertiles pour l’humour.

 

Vos Unes disent en effet des choses pertinentes sur notre société… Oui, mais jamais frontalement. Je préfère l’humour “hors-champ”, jouer avec le non-dit, c’est beaucoup plus fort. Mes blagues sont courtes et je fais confiance à l’intelligence du lecteur. Par exemple sur la couverture de Serein !, “le magazine qui laisse la justice faire son travail”, sous la photo de Luc Besson, il y a ce titre : “Morandini héberge de jeunes migrants”, avec une citation : « Ils sont adorables »… Pas besoin d’en rajouter !

Évitez-vous certains sujets ? Oui, j’ai publié beaucoup de Unes sur le patriarcat, et j’ai reçu en réaction des messages masculinistes m’incitant à parodier aussi les femmes, ces “manipulatrices”. Mais je me l’interdis, car il me semble qu’elles ont eu leur dose de blagues, non ? J’évite aussi les sujets trop faciles comme l’art contemporain. Et puis il y a des raisons plus personnelles. Mes parents sont réfugiés chiliens, ils ont fui la dictature de Pinochet, ce sont des militants de gauche. Il m’est donc impossible de vanner la gauche… même s’il y a beaucoup à dire !

Aujourd’hui le pastiche est devenu un exercice périlleux, avec des gens qui se sentent immédiatement offensés, ne comprennent plus le second degré… C’est vrai, j’ai parfois suscité l’incompréhension, notamment avec un numéro qui s’appelait Auto Diagnostic et ironisait sur la multiplication des troubles du déficit de l’attention, avec des accroches comme “Tendance : TDAH is the new Covid”. Beaucoup l’ont mal pris, me taxant de “psychophobe”. En même temps, j’ai aussi reçu de nombreux messages de soutien de gens atteints de ces maux, qui ne comprenaient pas pourquoi j’avais retiré l’image sur Instagram… Mais j’admets être un petit peu malicieux, car la semaine suivante j’ai sorti Premier degré magazine !

Avez-vous eu des retours de certains titres de presse ? Oui, souvent ceux qui sont pastichés. Par exemple la rédaction de Collectionneur & chineur a partagé ma parodie, Collectionneur & relou. Il y a aussi une anecdote marrante, mais un peu flippante. Pour la couverture de la revue Privilèges, j’avais publié la photo d’un mec en costard avec le titre : “Être propriétaire ? C’est hyper facile ! Grâce aux 500 000€ d’apport de papa”… Eh bien j’ai reçu un message du type en question, dont j’avais piqué la photo sur Google. Mais bon il l’a bien pris, il m’a même demandé de laisser la Une. Très sympa !

Où dénichez-vous où ces images maintenant ? Avant il n’y avait pas de règles, donc je faisais n’importe quoi, comme tout le monde. Maintenant 99% de mes photos sont produites avec le logiciel Midjourney, une intelligence artificielle. Comme ça je n’embête personne et j’obtiens l’image que je veux.

Ce qui fait aussi le succès de vos Unes, c’est leur aspect graphique, très réaliste. Avez-vous une formation particulière ? Pas du tout ! C’est ma sœur, architecte, qui m’a initié à Photoshop quand j’étais petit. Mais mère est peintre aussi… Et puis comme je suis DJ, par la force des choses, je réalise mes propres flyers ou logos. J’ai donc l’habitude de cet exercice.

Vos Unes sont-elles des caricatures ou des créations ? Ça dépend. C’est un peu l’occasion qui fait le larron. J’avais sorti le Point chaud par exemple, un pastiche du Point avec pour thème le wokisme, parce que c’est vraiment leur obsession. J’ai aussi parodié Valeurs actuelles que j’ai renommé Mauvaise foi, soit l’hebdo des gens qui disent « je ne vois pas de quoi tu parles » ! Sinon, j’invente des magazines de toutes pièces.

 

Comment vous y prenez-vous ? Je ne suis pas seul. Généralement j’ai un sujet, un nom et je crée la Une sans aucune accroche. Puis je l’envoie à mes potes, qui forment la rédac. On s’échange alors des blagues, on les transforme 10 000 fois, soupesant chaque virgule pour trouver la phrase qui tue.

Alors, quelle est la recette d’une bonne Une ? Il n’y a qu’une seule règle : qu’elle me fasse marrer !

Quelles seraient vos revues favorites ? Je suis très fier d’Agresseurs magazine, avec PPDA sur la couv qui déclare : « Si on ne peut plus faire de compliments » ! J’aime bien aussi la revue Patriarcat, sous-titrée : « on va pas se laisser emmerder ! » et dont le numéro 2 annonce : “Endométriose : arrêtez vot’ cinéma les filles !”. D’ailleurs, j’ai fait valider ce titre par des copines qui souffraient de ça. Plus récemment, je citerais aussi Toujours + Salle ! Je voulais sortir un truc sur les mecs musclés, mais sans trop me moquer des gens qui ont décidé d’avoir tel ou tel corps, je me suis donc concentré sur le lieu. Comme je suis nul en sport, j’ai demandé à un copain culturiste d’apporter des petites corrections, des précisions, histoire d’être plus pertinent. C’est important pour moi, car je préfère “rire avec” plutôt que “rire de”.

Quels sont vos projets ? Je bosse sur un livre réunissant un florilège de mes meilleures créations, avec des inédits aussi. Si tout se passe bien, une chouette exposition arrivera pour les beaux jours à Paris. Sinon, je rêve d’une tournée avec mes Unes, entre la France et la Belgique !

Propos recueillis par Julien Damien / Photo : Grandpamini © Nathalie Mohadjer
Articles similaires
© Thomas Jean