YZ
Impériale
Yseult Digan, aka YZ (qu’on prononcera “eyes”) est connue dans le monde entier pour ses œuvres délicates, réalisée à l’encre de Chine sur des panneaux de bois récupérés. A travers la série Empress (soit “impératrice”), cette street artiste franco-britannique peint des portraits de femmes fortes et fières de leur différence, célébrant la diversité culturelle. A Roubaix, pour l’exposition Urbain.es, elle présente une œuvre inédite. Entretien.
Quel est votre parcours ? J’ai grandi dans un petit village de potiers, mes parents étaient céramistes, j’ai donc baigné dans la création et la matière, avec le bois, la terre et tout ce que j’avais à portée de main. A côté de ça je m’intéressais aussi à la musique, j’ai donc suivi une formation d’ingénieure du son… qui m’a menée vers la réalisation de documentaires. En fait, je creuse aujourd’hui le même sillon, car j’effectue un important travail de recherche en amont de chacun de mes portraits.
De façon générale, comment présenteriez-vous votre travail ? Je réalise des portraits, de femmes surtout, d’hommes parfois, avec une réflexion contextuelle sur l’habitant, l’habitat et son patrimoine, mais aussi sur l’identité. C’est lié à mon histoire : j’ai toujours cherché à savoir qui j’étais, car j’ai des origines différentes : anglaises, guadeloupéennes… Pour moi, il est important d’aller à la rencontre de l’autre.
Vous focalisez sur la différence dans une société où tout est normalisé… Oui, il s’agit de célébrer la singularité, nos différences sont nos forces. Hélas en France, nous sommes très conservateurs, et la société capitaliste nous impose cette forme de conformisme, dirigeant nos choix de consommation, vestimentaires, alimentaires… On achète tous les mêmes choses, les mêmes produits ! Où est donc la valorisation du petit producteur, de l’artisanat ?
Comment avez-vous rencontré cette jeune Roubaisienne qui a inspiré ce portrait présenté à Roubaix ? La Condition Publique a lancé un appel auprès de jeunes femmes, j’ai demandé à ce que chacune d’elle compose un petit texte de présentation. Celle que j’ai choisie est une jeune Ivoirienne qui a beaucoup voyagé avec ses parents avant d’arriver en France. Elle s’appelle Sephora et vient de la banlieue d’Abidjan. C’est une danseuse.
Pourquoi elle en particulier ? Je la trouve lumineuse. D’abord, elle est très belle, mais c’est surtout son énergie qui m’a touchée, sa richesse intérieure, du fait de son expérience de vie et des différentes cultures qui la traversent. En réalité, c’est une synthèse de toutes les autres, symbolisant une femme puissante et fière de sa différence. Elle représente toutes ces jeunes filles en France qui ont une double culture. Il s’agit aussi de contrer les clichés et une vision binaire de la vie. Si on donne de la valeur, de l’importance à ces jeunes femmes, elles pourront apporter beaucoup de choses positives à notre société.
D’où viennent les ornements qui entourent son visage ? J’ai effectué pas mal de recherches, et découvert que cette jeune femme venait d’une communauté où il y avait beaucoup de cauris, de petits coquillages utilisés depuis des siècles comme monnaie d’échange. J’en ai donc déposé sur sa tête, puis agrémenté ce portrait de bijoux provenant d’un peu partout en Afrique. Ce n’est pas un travail ethnologique mais une interprétation globale, c’est avant tout mon ressenti.
Concrètement, comment travaillez-vous ? Avec des matériaux naturels ou de récupération, que ce soit le bois ou le métal, qui provient de roues de vélos, de chaises… Il s’agit de rester cohérente avec mon sujet. La jeune femme de ce portrait est issue de peuples autochtones soumis à des problématiques environnementales. Je travaille donc sur un support en bois, que je recouvre de papier soi et je peins à l’Encre de Chine. L’ensemble est ensuite patiné avec des teintes sépia, comme si le personnage était une femme contemporaine mais venant d’un autre temps. Je souhaite exprimer l’idée de lignée, la reconnecter à l’histoire de ses ancêtres. Je défends un profond respect ppour l’endroit d’où l’on vient. Aujourd’hui, nous regardons devant en oubliant nos racines. Sans être rétrograde, je pense que nous devons nous appuyer sur des savoir-faire ancestraux, artisanaux, pour construire demain.
Qu’est-ce qui vous a séduit dans ce projet, Urbain.es ? La place de la femme dans l’espace urbain est aujourd’hui une vraie question. Depuis des siècles, les villes et leurs infrastructures sont construites par et pour les hommes. Rien n’y est fait pour que la femme s’y sente bien, y développe ses centres d’intérêt, y crée du lien. Ces changements de point de vue doivent aussi passer par l’éducation…
Vous êtes aussi connue du grand public pour avoir créé la “Marianne l’engagée” qui orne nos timbres postaux… Oui, c’est une figure forte, fière et volontaire. Je suis apolitique, mais voulais réaliser une Marianne représentant l’engagement, la révolution, la France plutôt qu’un quinquennat. Je ne me positionne pas en tant que féministe car c’est un mot trop “chargé”, par contre je m’engage en tant que personne.