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Expression libre

Icy & Sot (c) Julien Damien

Saman et Sasan Oskouei, aka Icy & Sot, ne sont encore que des adolescents lorsqu’ils défient les autorités iraniennes en recouvrant de fresques murales les rues de Tabriz, leur ville natale. Quinze ans plus tard, ces deux frères vivent désormais à New-York et sont des artistes reconnus dans le monde entier, sans cesser de revendiquer leur engagement politique. Rencontre avec ce duo pour qui la rue a toujours constitué un terrain d’expression, à l’occasion de sa participation à l’exposition roubaisienne Urbain.es.

Pourquoi ces surnoms, Icy & Sot ? En Iran, le street art est illégal alors nous ne pouvions pas utiliser nos vrais noms. Nous avons inventé ces pseudonymes afin que les gens se souviennent de nous. “Icy & Sot” c’est court, simple à mémoriser, rien de fou ! Mais notre vraie identité est connue du public, nous ne nous cachons plus. Seulement, nos vrais noms sont beaucoup plus compliqués à retenir.

Comment avez-vous découvert le street art ? Via le skateboard, ces deux cultures sont très liées. Internet nous a aussi été très utile. C’est grâce à ce moyen, bien avant Facebook, que nous avons découvert d’autres street artistes.

Pourquoi avoir choisi la rue pour vous exprimer ? En Iran, c’était le seul moyen de contourner la censure et d’affirmer notre liberté d’expression. C’était d’ailleurs très frustrant de mettre autant d’énergie dans des œuvres et de les voir recouvertes dès le lendemain. Mais cela nous a motivé…

Comment décririez-vous votre travail ? Difficile à dire en quelques mots, car nous touchons un peu à tout. Notre démarche a beaucoup évolué ces six dernières années. Nous ne nous contentons plus seulement de fresques murales, nous utilisons désormais d’autres matériaux. Nous réalisons aussi des sculptures, des installations publiques, des vidéos… Mais nos œuvres adressent toujours un message au public. Notre travail capte l’air du temps et nous nous exprimons sur toutes les causes actuelles : du réchauffement climatique à l’immigration en passant par l’égalité entres les hommes et les femmes.

Selon vous, l’art est-il forcément politique ? Oui, nous le pensons, de manière générale mais surtout en ce qui concerne le street art. Mettre sur pied une œuvre c’est exprimer quelque chose, une idée, sans que personne ne nous le demande.

Comment travaillez-vous en tant que duo ? Nous imaginons et construisons ensemble. C’est comme ça depuis des années. Deux cerveaux, c’est très pratique pour faire tout ça !

Vous disputez-vous parfois ? Oui, ça arrive ! Mais après avoir passer tant d’années à créer à deux, ce serait compliqué de soudainement travailler avec quelqu’un d’autre. Et puis le processus de création est beaucoup plus simple comme ça, entre frères.

Comment le street art a-t-il évolué ces dernières années, en Iran comme aux Etats-Unis ? En Iran, c’est toujours illégal même si les choses sont en train de changer tout doucement. Aux États-Unis, le street art devient de plus en plus commercial, comme partout dans le monde. Les artistes proposent leurs services à des entreprises, et ils sont très bien payés pour ça. Mais leur liberté en prend un coup… C’est aussi pour cela que nous avons arrêté de réaliser des fresques murales : travailler pour d’autres offre de meilleurs revenus mais c’est du temps en moins pour explorer notre propre créativité.

Icy & Sot, Roubaix 2022 -c- Maxime Dufour Photographies

Icy & Sot, Roubaix 2022 -c- Maxime Dufour Photographies

Pourquoi avoir accepté de prendre part à l’exposition Urbain.e.s ? Parce que nous nous sentons concernés par la thématique de l’exposition : la place des femmes dans l’espace public. Nous avons grandi en Iran, avons vu nos mères se couvrir la tête… là-bas, les traditions mettent en danger les femmes. Mais le combat féministe ne concerne pas seulement l’Iran. C’est ce que nous expliquons à travers l’une des pièces que nous exposons. Nous avons utilisé du grillage pour représenter une femme qui détruit un mur petit à petit. C’était une manière pour nous de montrer que les choses changent, en Iran comme ailleurs, mais qu’il y a encore énormément à faire pour détruire complètement ce mur.

Pourvez-voua aussi nous parler de Let Her Be Free, qui sera aussi exposée à Roubaix… Oui, cette oeuvre montre le visage d’une femme habillée d’un voile, mais celui-ci est constitué d’oiseaux. Ils représentent la liberté. C’est une manière d’exprimer un double message : le port du voile peut être imposé mais aussi être un droit et, dans ce cas, c’est le choix de chacune qui compte.

Propos recueillis par Maïssam Mezioud
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