Home Best of Interview Guy Cassiers

L'épreuve de l'exil

C’est l’un des plus grands metteurs en scène européens. L’un des plus engagés, aussi. Après avoir décortiqué les mécanismes du fascisme avec son adaptation des Bienveillantes de Jonathan Littell, Guy Cassiers se penche sur la migration à travers un diptyque. Tandis que Borderline, inspiré d’un texte de l’Autrichienne “nobelisée” Elfriede Jelinek, prenait la forme d’une violente fresque, La Petite fille de Monsieur Linh s’avance comme une pièce sensible et intimiste. En portant sur le plateau le beau roman de Philippe Claudel, le directeur artistique du Toneelhuis d’Anvers met en évidence la souffrance d’un réfugié…

En quoi ce roman vous a-t-il séduit ? Je travaille depuis un an sur la question des réfugiés, notamment à travers Borderline, pièce adaptée d’un texte d’Elfriede Jelinek. Celui-ci est assez provocant et politique. Le livre de Philippe Claudel se situe à l’opposé, fondé sur une anecdote. C’est une parabole. Il raconte l’histoire d’un homme ayant fui son pays en guerre pour offrir un avenir meilleur à sa petite fille en Europe. Les gens sont plutôt généreux avec lui, mais cela ne fonctionne pas, il ne parvient pas à entrer en connexion avec eux. Ce court récit permet de ressentir ce que vit une personne débarquant dans notre société sans en comprendre la langue ni les codes, il nous invite dans son corps.

Ces deux spectacles seraient-ils les deux faces d’une même pièce ? Oui, Borderline nous renvoie à notre responsabilité. Dans La Petite fille de Monsieur Linh, c’est le contraire : on cherche l’empathie du spectateur. Les médias présentent généralement les réfugiés sans se mettre à leur place. A la télévision ou dans les journaux flamands, on évoque par exemple un “tsunami de migrants”,  jouant avec la peur. Ce spectacle adopte un angle opposé et soulève des questions importantes, notamment sur la situation dans le Nord de la France.

Grensgeval (Borderline) – Teaser from Toneelhuis on Vimeo.

Comment cela se traduit-il ? On découvre un seul acteur sur scène qui manipule tous les outils du théâtre, exécute de petits morceaux de musique, joue avec la lumière… Le plateau très épuré est traversé de projections, non pas d’images mais de texte. Par exemple, lorsque le comédien rencontre le médecin, on lit tous le mot “docteur” ainsi que ses propos sur l’écran sauf monsieur Linh… On souligne une distance car il ne comprend pas ce que les autres lui disent.

Photos répétition © Kurt Van der ElstN’y a-t-il pas un autre personnage important dans le roman de Philippe Claudel ? Si. Monsieur Linh rencontre monsieur Bark qui devient son ami. Ils ne parlent pas la même langue mais leur dialogue se situe au-delà, dans les expressions. Notre acteur incarne ici les deux personnages grâce à des caméras, comme s’il jouait avec lui-même.

Quel est votre objectif ? Au début, le comédien s’adresse au public, comme le narrateur d’un roman. Puis, il devient progressivement monsieur Linh se perdant dans la ville. Le théâtre se transforme alors en une “chambre mentale”. Le spectateur voit avec les yeux et entend avec les oreilles du personnage, percevant mieux ses difficultés.

Qui incarne Mr Linh ? Pour la version française, Jérôme Kircher. D’ailleurs, j’aimerais concevoir un spectacle spécifique à chaque pays, car les réfugiés ne sont pas les mêmes en France, en Belgique, en Angleterre… Enfin, je rassemblerais ces propositions pour créer un monsieur Linh européen voire universel.

Trailer Het kleine meisje van meneer Linh from Toneelhuis on Vimeo.

Justement, quelle est votre lecture de la politique migratoire européenne ? Le dialogue entre les pays reste stérile. On rejette ce qu’on ne connaît pas. Cela fait le jeu du populisme et de l’extrême-droite. Comme je l’ai expliqué dans Les Bienveillantes, il y a un monstre qui se terre dans notre coeur. A tout moment, il peut être pris dans des jeux de pouvoir… Sans craindre le retour imminent du fascisme en Europe, je regrette le rétablissement de toutes ces frontières, traduisant un manque total de responsabilité politique.

Le problème de l’Europe n’est-il pas son manque d’empathie ? Exactement. Comprendre une personne, c’est déjà beaucoup. Nouer une relation avec un seul être humain permet de comprendre un groupe entier. C’est l’une des leçons du roman de Claudel. Sans détenir la solution, je pense aussi que l’Europe doit renforcer le dialogue.

Comment concevez-vous votre théâtre ? Doit-il être nécessairement engagé ? Pas forcément. Par exemple en ce moment, j’adapte le roman de l’écrivaine A. M. Homes, Puissionsnous être pardonnés, qui est une comédie. Cela dit, je pense que Toneelhuis a une responsabilité. On ne se contente pas de monter de beaux spectacles, mais de repenser l’histoire et d’imaginer le futur.

Propos recueillis par Julien Damien
Informations
Valenciennes, Le Phénix

Site internet : http://www.lephenix.fr

15.03.2018>17.03.201818h, 23>10€
Villeneuve d'Ascq, La Rose des Vents

Site internet : http://www.larose.fr

10.04.2018>13.04.2018mar, mer & ven : 20 h, jeu : 19h, 21>13€
Namur, Théâtre Royal de Namur

Site internet : http://www.theatredenamur.be

03.05.2018>05.05.201820h30, 21,50 > 6,50 €
Bruxelles, Théâtre national

Site internet : http://www.theatrenational.be

25.05.2018>31.05.201820 h 15, sauf mer : 19 h 30, 22>12€
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