Fabcaro & Gilles Rochier
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Voici deux pointures de la BD française. L’un écrit (comme il parle) des récits ayant pour cadre la banlieue, l’autre se distingue par un sens de l’humour des plus absurdes. Mais ces deux bons copains affichent moult points communs. Chacun raconte des histoires inspirées de sa propre vie, partant de l’intime pour croquer le monde extérieur. Le fruit de leur récente collaboration (En attendant), un livre à mi-chemin entre narration et contemplation, n’est pas passé inaperçu à Angoulême. Rencontre croisée avec deux désopilants romantiques : Gilles Rochier et Fabcaro !
Quel est votre parcours ?
Fabcaro : Il est un peu atypique. J’ai toujours dessiné, même si on me disait dit que ce n’était pas un vrai métier, notamment mes parents. Après le lycée, j’ai donc suivi des études « sérieuses », obtenant une licence de sciences physiques qui ne m’a servi à rien. Puis je suis entré à l’IUFM pour devenir prof. Mais, au moment de passer le concours, j’ai tout plaqué pour revenir à la BD. J’ai démarché des magazines et mes premières histoires sont parues dans Psikopat. Mon premier album est sorti chez La Cafetière en 2005 (ndlr : Le Steak haché de Damoclès)
Gille Rochier : Petit, j’étais l’enfant qui dessine à l’école au fond de la classe, celui qui ne fait pas trop de bruit. Je n’ai jamais lâché le crayon. Cela s’est prolongé naturellement avec les fanzines, les revues, sous l’impulsion du collectif L’Employé du moi. Puis un jour un éditeur est tombé par hasard sur une de mes histoires. Quand il m’a appelé, j’ai dû raccrocher, victime d’un malaise vagal… Ce que je vis actuellement avec la BD reste un mystère.
Comment présenteriez-vous votre travail ?
Fabcaro : Oula ! J’ai publié 30 bouquins hyper différents et partant dans tous les sens. Leur seul point commun, c’est l’humour absurde. J’ai été biberonné aux Nuls, aux Monty Python, c’est ma culture et elle transparaît dans mes albums…
Gilles, votre trait est lui très “touffu”. Comment a-t-il évolué ?
Touffu ou même chargé, on peut le dire sans me vexer ! Mais je cherche à l’éclairer, à l’ouvrir sans trop me poser de questions. Au départ assez statique, mon dessin est désormais plus dynamique.
Pourquoi vous inspirez-vous avant tout de votre propre vécu ?
Gilles Rochier : Je me mets en scène car c’est plus facile. Au début, quand je me représentais dans mes fanzines, j’étais beau, grec, grand, musclé… Et puis, à force de me regarder dans un miroir, je me suis dessiné petit, bedonnant, un peu comme dans la réalité (rires). Dans mes bouquins, je suis surtout un passeur de plats. Certes, j’invite le lecteur dans mon élément mais l’incite à regarder et à écouter les autres.
Qu’est-ce qui vous inspire, Fabcaro ?
Je mise tout sur l’observation. J’ai d’ailleurs l’impression d’être spectateur de la vie, de ne pas y être complètement…
Ne partagez-vous pas aussi vos angoisses, vos phobies ?
Fabcaro : Oui, certains albums sont autobiographiques. Dans certaines fictions, je me dévoile aussi. Je suis mon propre terrain d’observation, toujours disponible. En plus ça me sert de thérapie (rires).
Zaï zaï zaï zaï a été un immense succès. Quel impact a-t-il eu sur votre vie ?
Fabcaro : Regarde, je suis débordé ! Avant, devant mon stand, il n’y avait personne (ndlr : au festival d’Angoulême). Je vendais environ 2 000 à 3 000 exemplaires et là on atteint 120 000 ! C’est n’importe quoi… J’ai l’air de me plaindre, mais je suis content !
De même, Gilles, vous avez eu droit à une belle exposition. Comment abordez-vous ce succès ?
C’est incroyable ! Il ne me manque plus que le Nobel de la Paix… Pour cette exposition, il a fallu retrouver les originaux. Je suis très content et un peu perdu en même temps.
Comment votre collaboration pour En attendant est-elle née ?
Gilles Rochier : Une nuit, en boîte avec Fab… Non je rigole. En fait, on retardait sans cesse un projet commun. Jusqu’au jour où il m’a envoyé des textes, auxquels j’ai répondu par des dessins, et il m’a dit “ça colle !”, tout simplement.
Fabcaro : Gilles et moi souhaitions “sortir” de la BD. Cet album est vraiment particulier, car il n’est pas humoristique. Je l’ai d’ailleurs signé “Caro” et non pas Fabcaro, pour que les gens ne s’attendent pas à se marrer. On voulait publier un objet plus “poétique” que rigolo.
Quel est votre propos ?
Gilles Rochier : On traite le rapport amoureux d’un manière contemporaine, avec une forme dont on n’a pas l’habitude : la poésie. Il est question de deux amis, dont l’un s’est fait larguer. Difficile de l’expliquer très concrètement. D’autant que je suis très mauvais en romantisme… Mais les textes de Fab me parlaient vachement. Peut-être parce qu’on a le même âge, sommes confrontés aux mêmes problèmes, à l’idée du couple et de l’amour. J’ai même cru qu’il les écrivait pour moi ! J’étais un peu inquiet, je dors tellement souvent avec lui en festival… Je me demandais comment j’allais refuser ses avances car je suis déjà en couple, tu vois… (rires).
Fabcaro : On a conçu l’ensemble comme des chansons, des “punchlines poétiques”. Vu notre goût pour le hip-hop, on a soigné les rimes, cultivant une sorte de flow, un peu slam. Ce sont des petites tirades sur les amours un peu foireuses, les lendemains de fête…
Etait-ce une première collaboration?
Fabcaro : On avait déjà cosigné un album humoristique, Saïgon, pour la maison Mauvais esprit. On va peutêtre le reprendre d’ailleurs. Ce n’est donc pas une première, et certainement pas une dernière. On a encore plein de choses à réaliser ensemble !
Quels sont vos projets ?
Fabcaro : En mai prochain, je sors un album chez Glénat, Moins qu’hier, plus que demain, sur la thématique du couple avec des petites saynètes, à l’image de ce que je dessinais dans Aaarg !. Sinon, j’ai une page chaque semaine dans Les Inrocks. Elles devraient être rassemblées dans un album prévu pour janvier 2019.
Gilles Rochier : Je publie un livre le 2 mai chez Casterman avec Nicolas Moog, En roue libre. D’autres qui vont arriver. Et Fab va m’écrire quelque chose très bientôt. En même temps, on n’a pas besoin de sortir de livres pour être ensemble, il suffit d’un bistrot !
A lire / En attendant, de Fabcaro et Gilles Rochier (6 Pieds sous terre), 64 p., 10 €, 6pieds-sous-terre.com