Richard Bellia
Légende photo
Richard Bellia compose une drôle d’encyclopédie musicale. De James Brown à Gainsbourg en passant par Iggy Pop, Nirvana, The Clash (on en passe), le Lorrain photographie depuis 36 ans, à la pellicule et surtout en noir et blanc, les icônes du rock, de la pop ou du rap. Ce collaborateur du prestigieux Melody Maker publie un livre de près de six kilos, et expose ses clichés à l’Aéronef de Lille. Un oeil sur la musique, et pas la langue dans sa poche.
Comment es-tu devenu photographe ? En me rendant à un concert à l’âge de 18 ans, avec un appareil photo que je venais d’acheter. Tout simplement. Les Anglais ont une expression pour ça. Ils disent : « I got carried the way ». Cela me correspond bien, je me suis laissé emporter par le truc.
Peut-on te considérer comme un autodidacte ? Oui. J’ai juste suivi des cours au club du lycée, à Longwy, et à la MJC locale.
Comment as-tu approché le monde de la musique ? A partir d’une série de rencontres, de collaborations avec des fanzines, des magazines. Sans t’en rendre compte, tu te retrouves un jour à un concert avec un badge portant le nom d’un canard…
Où as-tu publié ta première photo ? Dans Santiag, un journal réalisé par une bande de potes, à Metz, et qui était dirigé par Denis Robert. Un truc dans l’esprit de Libération, mais en province et mensuel. En même temps, la comparaison est moyenne. Comme si je te disais que t’étais le James Brown de la pâtisserie (rires).
Quand as-tu rejoint le fameux Melody Maker ? A 23 ans j’ai passé des vacances à Londres alors que The Cure répétait dans les parages. Je m’y rendais chaque jour, profitant d’un concert pour moi seul. J’ai débarqué dans ce journal anglais en 1985 avec quelques clichés sous le bras, ça a démarré comme ça… Pour l’anecdote, les pigistes étaient classés par ordre alphabétique dans l’ours. Mon nom arrivait juste après Janette Beckman que j’adorais, la nana qui a réalisé les pochettes de Police. Mais bon, elle était sympa comme une porte de prison (rires).
Qu’est-ce qui t’a d’abord guidé ? La musique ou la photo ? Très largement la musique. J’aime la photo mais je ne suis pas une espèce de malade mental qui travaille la lumière, se procure le matériel dernier cri… Au départ, c’était un bon moyen pour ne pas avoir l’air d’une quiche devant les musiciens. Tu t’occupes les mains, tout ça.
Comment gagnes-tu la confiance des artistes, te démarques-tu des autres photographes ? Je suis super drôle, t’as pas idée ! Ça joue beaucoup. Et je leur parle musique naturellement. Mais la vraie question n’est pas tant de connaître mon secret, que de découvrir le problème de mes confrères…
Quel est donc leur problème ? Là je peux te répondre d’une façon définitive : 99 % des photographes musicaux ont des goûts de merde.C’est hallucinant ! Leur job c’est d’aller à des concerts, mec. Techniquement c’est impossible d’avoir des goûts aussi pourris ! J’ai un copain qui se fait appeler Boby, il est assez connu, genre c’est le témoin de notre temps. Il s’est trouvé un job : photographe officiel de Deluxe… mais enfin c’est pas possible ! Alors oui, ses parents doivent être fiers de lui…
Qu’est-ce qu’une bonne photo ? Elle invite à te poser longtemps devant et à observer 1 000 détails.
Qu’est-ce qui caractérise ton style ? Je suis assez rapide. La vitesse à laquelle on attaque son sujet est primordiale.
Comment procèdes-tu techniquement ? D’abord, ce n’est pas l’appareil qui fait la photo mais l’objectif. J’achète donc un boîtier en fonction des systèmes optiques qu’il accueille, en particulier ceux d’une marque que j’adore : Carl Zeiss. J’utilise un chouette appareil, le Contax, celui-là même qu’utilisa Robert Capa lors du débarquement – enfin s’il l’a vraiment vécu, haha !
Certaines photos renvoient-elles à des moments heureux ? La plupart. Elles traduisent souvent des trucs personnels… Tiens, la photo de Robert Smith avec la toupie (ndlr :l’une des plus célèbres du groupe). Je l’ai prise en arrivant à Londres. J’avais 23 piges, pas un rond en poche alors qu’il faisait très froid et je voulais devenir photographe. La première pellicule que je cale dans mon appareil, eh bien ça a donné ça.
Il y a aussi cette fameuse photo d’Ol’ Dirty Bastard, prise dans sa chambre… Tu parles, elle est surtout rentable pour mon avocate qui a fait plus de 30 000 dollars avec…
Pourquoi ? Je me la suis fait voler. Un jour des potes m’appellent en me disant : « regarde, David Guetta porte un tee-shirt avec ta photo ! » C’est une énorme compagnie américaine qui a produit cette fringue sans mon autorisation, mais avec celle de la veuve d’ODB, qui a les droits d’utilisation post-mortem de l’image de son mari. Aux états-Unis, la photo doit être déposée au copyright américain, ce que je n’avais pas fait… donc j’ai perdu le procès. A cela s’ajoute une autre histoire : un mec a tiré un dessin de ce cliché et il se l’est aussi fait piquer par le Wu-Tang Clan, qui l’a utilisé pour son album à deux millions de dollars !
Comment as-tu conçu le parcours de cette exposition à L’Aéronef ? Mon but n’est pas que les gens se disent : « regarde, c’est David Bowie ! », mais plutôt qu’on apprécie la qualité des images et des tirages. On s’intéressera à ce travail sans être un passionné de musique. D’ailleurs, j’ai placé James Brown entre Bowie et Kraftwerk ce qui, on en conviendra, ne répond à aucune logique.
Pourquoi ? Imposer une narration quelconque à mes images sous-entendrait qu’elles n’ont pas assez de force. Elles n’ont pas besoin non plus d’explications, de textes. Elle se suffisent à ellesmêmes.
Pourtant, tu dois compter ton lot d’anecdotes, non ? Oui, un sacré stock, mais je veux éviter le côté “Tonton Richard raconte ses histoires”, du genre (ndlr : là, il imite Philippe Manoeuvre) : « Oh putain Mick Jagger venait de m’appeler, il avait passé la nuit avec machin… ». Non, je ne marcherais pas sur les plates-bandes de Manoeuvre (rires).
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Un oeil sur la musique, Richard Bellia, (éditions 123 ISO), 800 p., 130 €