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Liberté, égalité, sororité

© Kit Harrington

Noémie Merlant n’a plus besoin de démontrer l’étendue de ses talents de comédienne. Révélée dans Portrait d’une jeune fille en feu de Céline Sciamma, César de la meilleure actrice dans un second rôle pour L’Innocent de Louis Garrel en 2023, elle partage aussi l’affiche avec Cate Blanchett (Tár) ou Kate Winslet (Lee Miller). La Parisienne s’affirme désormais comme réalisatrice. Après un premier long-métrage en 2021, Mi Iubita, mon amour, la voici de retour derrière et devant la caméra avec Les Femmes au balcon. Dans cette comédie horrifique en forme de manifeste féministe, trois copines trucident les hommes coupables de violences sexistes et sexuelles, dans un déluge de fantaisie gore. Peut-être une catharsis ? L’artiste fut elle-même victime d’une agression sexuelle à l’âge de 17 ans, lorsqu’elle était mannequin. Elle nous en dit plus sur ce projet audacieux.

Quand ce film est-il né ? Lorsque je me suis installée chez Sanda Codreanu, après une rupture. Elle incarne Nicole dans le film et c’est aussi ma meilleure amie depuis 15 ans. Nous nous sommes rencontrées au cours Florent. Sur son balcon, j’ai réalisé que c’était la première fois de ma vie où je me sentais vraiment détendue, pas oppressée ni obligée de jouer un rôle. Cela m’a permis d’évoquer des traumatismes et m’a inspiré ce film. J’ai commencé à l’écrire sur ce fameux balcon en compagnie de Sanda et de son humour.

Céline Sciamma a également participé à l’écriture, n’est-ce pas ? Oui, c’était déjà une amie proche. Je l’avais rencontrée lors du tournage de Portrait d’une jeune fille en feu. Alors que je rencontrais des difficultés elle m’a aidée à structurer le scénario, à affirmer mes idées. C’est d’ailleurs grâce à elle que la figure du fantôme du violeur (ndlr : qui ne pourra reposer en paix seulement après avoir avoué ses crimes) est restée, malgré les réticences potentielles de certains financeurs.

Pourquoi avoir choisi de mêler comédie, fantastique et horreur ?  Dans ma vie, j’évoque mes traumatismes avec humour. Cela me permet de prendre du recul et de me réapproprier ces expériences. Il était donc logique pour moi d’insuffler au récit ce côté comique. Le fantastique et l’horreur étaient eux essentiels pour explorer ces thèmes de façon cathartique.

Oui, d’ailleurs le film est assez gore… C’est vrai, le gore symbolise la violence que j’ai accumulée et qui finit par exploser. Et puis, j’ai toujours aimé les films de genre. Ils reflètent une liberté totale, y compris celle d’embrasser le mauvais goût et la vulgarité. C’est libérateur, surtout en tant que femme. En montrant des personnages imparfaits, vivants et incarnés, j’espère briser les clichés de la figure féminine figée et glacée.

Aviez-vous déjà une idée du casting durant l’écriture ? Dès le début, je savais que Sanda jouerait Nicole. J’ai écrit ce personnage en pensant à elle. Pour interpréter Élise, j’ai puisé dans ma propre vie et mes expériences, tout en accentuant certains traits. Trouver Ruby a été plus difficile. De nombreuses actrices ont refusé, à cause de la nudité et de potentielles critiques sur les réseaux sociaux. Mais Souheila Yacoub ne craint pas d’utiliser son corps comme une arme de revendication. Une alchimie s’est tout de suite créée entre nous trois.

Et concernant les rôles masculins ? Par contre, là, nous avons galéré pour trouver l’acteur incarnant le fameux voisin. La plupart des hommes avaient peur de jouer un violeur et d’être montrés comme un monstre. Il y aussi cette réticence d’accepter un rôle secondaire, de laisser de la place aux femmes. Lucas Bravo, lui, cherchait au contraire à briser son image de beau gosse dans Emily in Paris.

© 2024 NORD-OUEST FILMS - FRANCE 2 CINÉMA

Quel est le principal message du film ? Que la honte et la peur doivent changer de camp ?  Oui. Aujourd’hui, les femmes ressentent constamment de la peur, que ce soit dans la rue ou ailleurs. Virginie Despentes disait : « Si les hommes avaient peur de se faire lacérer la bite, ils contrôleraient peut-être leurs pulsions ». Elle a raison, si les agresseurs craignaient les conséquences, ils ne passeraient pas à l’acte. Il faut savoir que le féminisme n’a jamais tué. On nous traite d’hystériques, certains nous trouvent chiantes, mais nous ne sommes en rien effrayantes. D’ailleurs, cela explique peut-être pourquoi les choses n’évoluent pas… Le film explore cette peur et propose une caricature des agresseurs, reflétant comment les femmes finissent par les voir. Il y a aussi la question des aveux…

C’est-à-dire ? Rares sont les violeurs qui reconnaissent leurs actes, on le voit très bien avec l’affaire de Mazan. À part le mari, qui a fini par avouer, quasiment aucun des 50 accusés n’a eu ce courage. J’ai donc voulu insister là-dessus. J’ajoute que les représentations changent le monde. dans notre société, les images jouent un rôle clé. En changeant les récits, on peut transformer la perception des choses. Plus une représentation devient récurrente (comme une femme torse nu sur un balcon) plus elle est acceptée. C’est un des objectifs du film et du cinéma en général.

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Pourquoi avoir choisi d’utiliser la figure de Marilyn Monroe dès le début ? Pour moi, elle représente l’icône absolue. On sait bien comment elle a été façonnée par les studios, par les hommes et pour les hommes, avec ce côté fantasmatique et mystérieux. Et elle en a souffert, sa vie lui a été volé. J’ai donc voulu casser ce mythe, lui rendre une certaine liberté, notamment via la vanne du pet (ndlr : dans une scène Noémie Merlant est grimée en Marilyn, et pète). Ce n’est pas anodin, car cette blague est généralement acceptée seulement quand c’est un homme qui la fait. Il fallait que je passe par cette démystification.

Marilyn n’est d’ailleurs pas la seule figure à être convoquée, il y a d’autres références dans votre film, n’est-ce pas ? Dès l’écriture je voulais, à mon petit niveau, appuyer un clin d’œil à Fenêtre sur cour d’Hitchcock, l’un de mes films préférés. J’ai souhaité tordre cette histoire : ici ce n’est pas le photographe qui “rentre” dans l’intimité des femmes mais l’inverse. Les filles regardent ainsi un homme se trimballer à poil dans son appartement.

On pense aussi aux films d’Almodóvar, notamment par l’emploi de la palette saturée de votre long-métrage… Oui, il est aussi une très grande source d’inspiration, les couleurs qu’il utilise sont magnifiques. Il a cette capacité incroyable à filmer des femmes avec leurs convictions, leurs doutes mais aussi un côté “farfelu”. J’ai aussi beaucoup pensé à Boulevard de la mort de Tarantino pour le côté horrifique, tout comme au cinéma d’épouvante japonais et coréen. Et puis, plus surprenant, Le Père Noël est une ordure a aussi joué un rôle important.

Comment ? Pour son côté très théâtral dans le jeu, qui selon moi manque un peu dans le cinéma. Nous avons volontairement accentué bien des aspects du film : l’interprétation, les décors, les costumes, les maquillages…

Ne craignez-vous pas que votre film soit taxé de “misandre” ?  La question de l’absence de figure masculine positive revient souvent. Il y a plusieurs raisons à cela. Tout d’abord, le temps me manquait. Je devais déjà réussir à caractériser parfaitement mes trois héroïnes et leurs agressions respectives. Ajouter ce type de personnage aurait affaibli la construction des autres. Ensuite, en l’ajoutant, beaucoup d’hommes se seraient identifiés à lui, ce qui aurait empêché l’introspection.

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Dans quel sens ? Il ne s’agit pas d’accuser tous les hommes d’être des violeurs, mais de les inviter à réfléchir. Peut-être s’interrogeront-ils sur leurs propres comportements ? En tout cas, l’idée est de mieux comprendre ce que les femmes subissent au quotidien. Créer un personnage masculin positif aurait donc sabré une fonction essentielle du film : sa capacité à provoquer le dialogue et une prise de conscience.

Quelles sont les réactions du public ? Elles diffèrent selon les genres. Les femmes sont profondément touchées et viennent souvent se confier à moi, y compris sur les réseaux sociaux. Du côté des hommes, il y a trois grandes catégories. Ceux qui apprécient de voir des femmes prendre de la place et se défendre contre leurs agresseurs. D’autres se sentent mal à l’aise par moments, mais ils ressortent du film enrichis. Par exemple, le thème du viol conjugal leur a permis de découvrir une réalité qu’ils ignoraient. Enfin, certains considèrent cette histoire comme une attaque et assurent que “tous les hommes ne sont pas comme ça”. J’essaie alors d’engager la conversation, expliquant que, dans de nombreux films, les personnages féminins sont soit idiotes, soit machiavéliques, et pourtant nous arrivons à les regarder sans nous sentir visées. Enfin je sais, évidemment, que tous les hommes ne sont pas mauvais.

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A LIRE ICI / LA CHRONIQUE DU FILM

Propos recueillis par Arthur Chapotat

Les Femmes au balcon

De Noémie Merlant, avec Noémie Merlant, Souheila Yacoub, Sanda Codreanu… Sortie le 11.12


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