Photaumnales
L'image sur le gril
On est ce que l’on mange, selon la sagesse populaire. Voilà donc une bonne raison de s’intéresser à notre alimentation. C’est justement le thème de la 21e édition des Photaumnales. Créé en 2004 à Beauvais, rayonnant aujourd’hui dans d’autres villes et villages des Hauts-de-France, ce festival de photographie décortique d’innombrables sujets de société par le prisme de notre assiette. Au menu : la surconsommation, le gaspillage alimentaire, notre modèle agricole… et la digestion des images elles-mêmes.
Il y a quelque chose d’un peu écoeurant dans ces clichés de rations militaires. Une contradiction malaisante entre la douceur des couleurs pastel et la finalité de ces repas, rassasiant la plus grande machine de guerre au monde. Issues des archives de l’armée américaine, ces photographies ont été réunies par le collectionneur Matthieu Nicol (derrière le titre, ô combien ironique, Better Food for our Fighting Men) et montrent les innovations dont est capable l’US Army en matière de déshydratation ou de conservation (qu’on retrouvera ensuite au rayon “plats cuisinés” de nos supermarchés). En point d’orgue, il y a ce portrait de soldat casqué s’enfilant, tout sourire, une barre de légumes lyophilisés… qui sert aussi d’affiche à ce nouveau cru des Photaumnales. Alors quoi ? S’agit-il de critiquer notre mode d’alimentation moderne ? Tout au moins d’y réfléchir, en considérant notre assiette sous différents angles. « Ce sujet recouvre un aspect très politique, car il touche des problématiques de fond », justifie Fred Boucher, le directeur du festival.
Le grand gâchis
D’ailleurs, se nourrir relève parfois, littéralement, de la lutte. Les artistes Chow et Lin exposent ainsi ce que l’on peut se payer en vivant sous le seuil de pauvreté dans différents pays (des brocolis aux USA, des bonbons en Allemagne…). Ce procédé systématique, où la nourriture est photographiée sur des journaux locaux, dialogue parfaitement avec le projet de Robin Lopvet. Ce Français met en effet en scène un tourbillon de déchets alimentaires (des feuilles de chou, des restes de poivrons…) dans des compostions rappelant les natures mortes de la Renaissance. « Ces images renseignent beaucoup sur notre société, la façon dont nous consommons et nous jetons », observe Fred Boucher. Ainsi, selon les Nations Unis, en 2022, chaque habitant de la planète a gâché 79 kilos d’aliments… Dans le même Parc de la gare, à Beauvais, la série Various Fruits and Vegetables, signé Henry Rox, transforme des fruits et légumes en personnages aussi fantaisistes que poétiques. Peut-être inciteront-ils les enfants à finir à leurs haricots !
En parlant de nos chérubins, citons aussi Tous à la cantine !, accrochage garni de photographies de Willy Ronis ou Jean Pottier, qui ont immortalisé ce petit temple du vivre-ensemble. Datant du milieu du siècle dernier, ces images révèlent leur lot d’incongruités (ces bouteilles de vin rouge sur les tables des écoliers) et témoignent de la naissance d’un autre monde. « Nous sommes après-guerre, l’alimentation aborde un tournant. Après des années de manque, on sert du lait et de la viande aux enfants matin et soir. C’est le début des Trente glorieuses, la restructuration de l’agriculture, un modèle productiviste où l’on consomme sans limite ».
Boulimie visuelle
L’exposition documentaire consacrée à la marque d’électroménager Thermor ne dit pas autre chose. Ces campagnes de publicité des années 1960 vantent les mérites de cuisines équipées rutilantes, symboles de la société de consommation… avec une femme systématiquement aux fourneaux, façonnant un archétype qui a la peau dure. « On voit ici comment l’iconographie nous manipule… ». C’est d’ailleurs l’une des grandes interrogations du festival, d’autant plus prégnante à l’heure des réseaux : « À quoi sert la photographie ? Aujourd’hui les images nous submergent, il y a une forme de boulimie dans notre façon d’absorber ce flux, que l’on digère plus ou moins bien. Il s’agit donc de réfléchir à ce que l’on ingurgite ». Avec la bouche comme les yeux…