Alain Séchas
En terrain minet
Alain Séchas s’est révélé à la fin du siècle dernier avec ses personnages à tête de chat. Puis il y eut des martiens, des fantômes, des pieuvres… soit autant de figures burlesques sondant sous forme de dessins, mais aussi de sculptures ou de peintures les ressorts de notre humaine condition. Intitulée Je ne m’ennuie jamais…, cette rétrospective (la première dans un musée belge) rassemble quelque 200 oeuvres d’un artiste pour qui l’humour est une affaire sérieuse.
Il semble surpris autant que nous de se trouver là, un gros revolver à la main et « prêt à faire une grosse bêtise ». Le face-à face avec cette sculpture est d’autant plus étonnant que notre personnage, habillé d’un pantalon baggy, est affublé d’une tête de chat… Voilà plus de 40 ans qu’Alain Séchas pose un regard amusé sur le monde en usant de ce motif félin, dont les grands yeux exorbités traduisent une perpétuelle sidération. Cet ancien professeur de dessin s’est révélé dans les années 1990 avec ses silhouettes humaines longilignes au faciès de minous, « plus facile à réaliser qu’un portrait humain », mais très expressif. Héroïne de saynètes humoristiques, cette faune humanoïde pointe avec tendresse ou ironie les péripéties de notre pauvre espèce, dans une esthétique pop des plus charmantes. « Chacune de mes créations est un petit piège visuel, il faut se laisser attraper ».
De l’art et du cochon
D’ailleurs, il n’y a pas que des chats dans son oeuvre. Au fil de cette exposition, on tombe nez-à nez sur d’autres figures tout aussi cartoonesques, par exemple un martien visiblement heureux de manger un hamburger (« cette merde », précise le bonhomme vert) ou un “professeur suicide” à tête de ballon de baudruche. Au centre d’une installation, celui-ci enseigne à ses élèves, en vidéo, 40 façons de s’éclater la caboche avec une aiguille, dans un grinçant snuff movie. Faut-il en rire ou en pleurer ? Sans doute un peu des deux, et c’est bien sur cette ligne de crête, entre burlesque et tragédie, qu’avance Alain Séchas, semant à travers son art autant de « questions laissées sans réponses, dit-il. Tout mon projet est une histoire d’élévation, et même de suspension ». À l’image de ce cochon volant dans la grande halle du BPS22. Baptisée Jurassik Pork III, la sculpture mécanisée lévite au rythme de ses battements d’ailes de chauve-souris, ses yeux-phares brillant comme des diamants. Cette bizarrerie porcine offre alors un peu d’allégresse à une humanité pas franchement assurée, elle, de retomber sur ses pattes…