Adré
Sur le vif
Colorée, diversifiée, surprenante et profondément humaniste. Ainsi pourrait-on qualifier l’œuvre d’Adrien Sené, aka Adré. Tour à tour éducateur spécialisé puis généalogiste, cet artiste passé par le graff et la photographie de rue s’attache à saisir la fragilité de ce monde et une certaine poésie de l’ordinaire, via la peinture et le dessin. Après Aket Kubic l’an passé, il est l’invité d’honneur de la troisième édition du Salon mouvallois des arts (Smarts, à Mouvaux). Rencontre dans son atelier, à Roubaix.
Qu’allez-vous révéler lors de cette exposition à Mouvaux ? La scénographie traduit un compromis entre ma pratique murale et mes carnets de croquis, car toute ma peinture passe par le dessin. Il y aura aussi des toiles et trois grands formats. Ce type de support fait à la fois écho à mon dessin et à une pratique plus urbaine, de par la taille notamment. Il y a quelque chose de l’ordre du situationnisme dans l’idée de faire interagir un personnage avec un environnement qui interpelle via sa taille démesurée.
Êtes-vous en train d’amorcer une série avec ce type de format ? Oui, car il traduit un questionnement artistique omniprésent, deux choses qui me sont chères : le dessin et le muralisme. J’ai une double culture : muséale avec la peinture contemporaine, et urbaine. Il y a aussi la question de l’étrange dans l’ordinaire. Finalement, j’invite le public à regarder des choses assez simples, évoquant l’énigme du vivant. C’est un sujet que je cuisinais déjà à travers d’autres médias. J’ai photographié beaucoup de gens dans la rue. Là, avec la peinture, j’ai la liberté de tout recréer.
Que vous a apporté la photographie ? Avec la vie professionnelle, il y a eu une période où je dessinais moins et où je ne pratiquais plus, en tout cas dans la rue. Mais je ne reste pas longtemps sans créer. J’ai alors découvert la photo, qui m’a appris à composer une image. Puis rapidement s’est posée la question du sujet, qui répondait à ma sensibilité : des environnements urbains, une sorte de poésie de l’ordinaire…
Est-ce en relation avec le métier d’éducateur que vous exerciez alors ? Il y a une sensibilité à la justice sociale, forcément. Je voyais ma pratique de la photo de rue comme un témoignage de gens qui me touchaient, des situations très simples de la vie quotidienne.
La photographie constitue-t-elle la matière de vos peintures ? La production de mes toiles n’est pas forcément liée à une photo que j’ai prise. C’est un sujet qui me travaille, je ne sais pas si cela deviendra plus important ou pas. Je suis en questionnement perpétuel, cette matière peut prendre plus ou moins d’épaisseur. Ces derniers mois, je travaille davantage la peinture pure.
Quels sont vos sujets ? Ma peinture doit être l’image de nos parcours, de nos existences, de notre condition d’humain, rien n’est rectiligne. La beauté se trouve dans des détours, des aspérités. Selon ce principe, j’essaie de peindre en laissant apparaître des accidents, en laissant quelque chose d’un peu sinueux, volontairement.
Souhaitez-vous lier des aspects à la fois rationnels et inconscients ? Je veux que la forme rejoigne le fond. Ça peut parfois être très dense ou beaucoup plus vide, puissant ou beaucoup plus doux. Métaphoriquement, c’est à l’image de nos existences, avec sa fragilité, ses contrastes…
Comment définiriez-vous votre style ? Je ne le définirais pas du tout ! Je ne veux pas m’enfermer. Mon art est en perpétuel mouvement, je laisse faire. Il y a une sorte d’errance dans ma pratique et ça me plaît de me promener. Je suis parfois spectateur de tout ça, de cette surprise, cette évolution, de la façon dont mes influences ressortent. J’ose espérer que l’assiduité produise une sorte de singularité…
Que cherchez-vous à véhiculer à travers votre art ? Une forme de sensibilité au monde. Partager une passion pour la peinture et l’histoire de l’art. Et aussi une forme d’humanisme, une sensibilité aux gens, à la tolérance, à la fragilité. Je peins des humains ou du vivant en général, avec toutes ses variations, au même titre que ce que je photographiais auparavant. Il y a le côté implacable de l’éphémère. La beauté de la simplicité. Je me décris comme un contemplatif !
Rendez-vous aussi hommage à différents courants de l’histoire de l’art ? Je suis sans cesse traversé par ces influences, des impressionnistes aux expressionnistes, en passant par les cubistes, les surréalistes… Je m’imprègne aussi de peinture abstraite, sans abandonner la figuration, et je me rends compte à quel point elle est riche de rythmes, de variations.
La mythologie vous inspire également beaucoup, n’est-ce pas ? C’est vrai, mais c’est aussi un prétexte, parce qu’elle permet de dessiner des choses extraordinaires. De me replonger dans des sujets, de lire, de nourrir ma curiosité aussi.
Vos toiles font aussi allusion à des peintres comme Matisse, Picasso ou Botero. Cet exercice de relecture, de restitution, est-il important pour vous ? Oui, c’est une étape indispensable, traduisant une attirance plastique pour ces peintres-là. En même temps, ça renvoie aussi à une partie de mon enfance. Mon père, qui est un artiste confidentiel, m’a transmis cette passion.
Quand avez-vous développé une pratique artistique plus assidue ? En 2017, je réalisais des collages de papier dans la rue. La pratique avait beau être urbaine, ce n’était pas du tout la même que le graffiti : plus figuratif, très photographique. Je dessinais des personnages plus réalistes. Pour moi la case “street art” ou “dessin” ne se pose pas. C’est d’ailleurs à ce moment-là que j’ai choisi le pseudo Adré, comme un pont entre mes cultures urbaines et mon prénom. Cette activité m’a remis le pied à l’étrier, jusqu’à exposer…
Vous étiez encore éducateur à ce moment-là ? Non, généalogiste successoral ! D’abord dans une petite entreprise lilloise familiale, pendant six ou sept ans. Quand la boîte a fermé, je me suis adressé à des cabinets parisiens. Puis j’ai décidé d’arrêter, me demandant ce que j’allais faire de ma vie. C’est en fréquentant d’autres artistes que je me suis lancé, en 2020. Je me suis installé en atelier, arrêtant de pousser les murs chez moi pour peindre ! Tout est parti de la conviction, de l’insouciance, de l’inconscience, mais avec au fond l’impression d’être à ma place. Aujourd’hui, les trois principales sources de mon activité, ce sont la vente de toiles, les commandes de fresques (dans des espaces de coworking, pour des collectivités territoriales, des commanditaires aussi bien publics que privés) et l’animation d’ateliers pédagogiques. Désormais j’ai davantage une pratique d’atelier qu’urbaine.
Cela vous manque-t-il ? Parfois. Pour nourrir des questionnements artistiques, je vais aller “faire un mur”, juste pour moi. Il y a aussi cette question du geste : il n’est pas du tout le même sur l’espace restreint qu’est la toile. Mais j’aime le travail dans l’atelier. Bref, la double culture !