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Autopsie d'un succès

© BERNARD BABETTE

Quand la réalité dépasse la fiction. Depuis deux ans, le docteur Philippe Boxho raconte dans ses livres des histoires de meurtres ou de suicides qui n’ont pas grand-chose à envier aux séries américaines. Ce médecin légiste liégeois et professeur en criminologie est même devenu un véritable phénomène de librairie, écoulant ses deux premiers ouvrages à plus de 400 000 exemplaires… et ce n’est pas fini ! Le troisième tome de ses macabres récits, sorti fin août, va être traduit dans une trentaine de langues. Quel est son secret ? Pourquoi la mort nous fascine-t-elle à ce point ? En quoi son travail consiste-t-il exactement ? On a autopsié tout ça avec l’intéressé.

Pourquoi avoir choisi ce métier ? Par hasard. J’ai hésité entre la médecine et le droit, ça s’est joué à pile ou face. J’ai d’abord été généraliste, mais ça ne m’excitait pas trop. Je me suis donc dirigé vers la médecine légale, car je préfère faire parler les morts qu’écouter les vivants se plaindre !

À quel moment fait-on appel à vous ? Lorsqu’on a affaire à une mort violente, c’est-à-dire suite à l’intervention d’un tiers, au sens large. Je détermine s’il s’agit bien d’un meurtre ou d’un suicide. Le but est d’identifier la cause du décès et, si possible, le moment. Tout cela peut déclencher une enquête judiciaire…

En faisant parler les morts, avez-vous pu résoudre des affaires que les policiers, seuls, n’auraient pu élucider ? Oui, car ils ne savent pas examiner un cadavre. Pour eux, une scène peut très bien ne rien présenter de suspect alors que la victime a été tuée.

Votre intervention semble donc indispensable… Oui, mais la médecine légale est très mal utilisée en Belgique. On fait trop peu appel à nous, sauf quand on est sûr qu’il s’agit d’un meurtre. Or, il faudrait nous envoyer sur place lorsque rien ne paraît louche pour vérifier ! Chez nous, on n’autopsie que 1 à 2 % des défunts par an, contre 10 à 12 % en moyenne dans les autres pays européens. D’après une étude de l’Université libre de Bruxelles, plus de 70 meurtres passeraient inaperçus chaque année ! Tout ça pour des raisons budgétaires. C’est une dérive terrible : celle de l’impunité.

Avez-vous un exemple d’affaire à nous donner qui n’aurait pu être résolue sans vous ? Dans mon deuxième livre, je raconte une mort que tout le monde, du procureur aux policiers, estimait être un suicide. Je devais examiner un type ayant son flingue contre la tempe. Le problème, c’est qu’il était censé avoir tiré de la main gauche… alors qu’il était droitier. De plus, le recul de l’arme n’était pas suffisant au regard du calibre utilisé. Rien qu’avec ça, on a pu démontrer que c’était un meurtre !

A contrario, vous disculpez parfois des suspects, comme vous le racontez dans votre troisième livre, n’est-ce pas ? En effet, dans cette affaire, la police est appelée pour une femme retrouvée pendue dans ses escaliers. Son compagnon, ivre au moment des faits, ne se souvient de rien et s’accuse du crime. Or, la corde était orientée de telle manière que ça ne correspondait pas à une strangulation par un tiers… mais encore faut-il le constater ! Et puis, pourquoi aurait-il pendu sa femme de cette façon ? C’est hyper compliqué, surtout qu’il pesait 40 kilos de moins qu’elle. Mais je peux toujours me tromper. En tout cas il n’a pas été condamné, mais a fini par se pendre lui aussi…

© BERNARD BABETTE

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Parmi toutes ces affaires, quelles seraient les plus marquantes ? Il y en a beaucoup, mais je raconte toujours cette histoire folle à mes étudiants. C’est une dame qui a tué son mari. Le couple était en cours de séparation, il l’emmerdait… Au bout d’un moment, on se rend compte que la voiture du bonhomme n’a pas bougé depuis longtemps et que son téléphone n’est plus utilisé. Elle a finalement avoué le meurtre à la police. Le problème, c’est que personne n’y a cru. Pour cause, elle a déclaré l’avoir découpé à la hache dans sa cuisine, avant de tout planquer dans le congélateur du garage ! Tous les soirs, quand les enfants étaient au lit et les voisins devant la télé, elle brûlait les morceaux dans son insert. C’était tellement énorme que les psychiatres ont assuré qu’elle fabulait. Affaire classée. Mais en attendant… où était le mari ?

Comment avez-vous démêlé le vrai du faux ? La juge d’instruction a proposé une reconstitution. J’ai posé des questions très précises à la suspecte, notamment sur la calcination des os, auxquelles personne n’aurait pu répondre sans l’avoir vue. Et elle avait tout bon, c’était bien elle. Elle était même contente qu’on confirme ses dires : “Ah, vous voyez” !

Il y a aussi l’histoire de cet homme qui a fait “disparaître” son épouse… Oui, un jour un fermier appelle la police parce qu’il a vu son voisin jeter sa femme dans l’auge à cochons. Quand les agents arrivent, il n’y a aucune trace du corps. Le parquet m’appelle. Je demande aux policiers de tuer le plus gros cochon. En ouvrant l’estomac de l’animal, je retrouve effectivement des morceaux de cette dame. L’homme a été hospitalisé, puis relâché. Affaire terminée. Il était dans un état de démence temporaire au moment des faits. On pense qu’en voyant sa femme mourir subitement, alors qu’elle préparait à manger, il a totalement perdu pied, puis l’a jetée aux cochons. Il n’y avait pas de traces de lutte ni de sang dans la cuisine, mais je n’ai jamais pu dire établir la cause du décès…

Toutes les histoires que vous racontez sont donc vraies ? D’un point de vue médico-légal, oui. Je les modifie un peu, change les prénoms pour mettre ceux de mes amis afin d'”anonymiser” les protagonistes. Je me mets en scène aussi, parfois je romance un peu car il y a des choses dont je ne me souviens pas ou auxquelles je n’ai pas accès. Mais l’essentiel est vrai !

Y a-t-il des constantes dans les motivations de ces crimes ? Oui, le cul et les écus, c’est ce qui fait tourner le monde ! Qui plus qu’un mari a intérêt à tuer sa femme, et inversement ? C’est d’ailleurs plus souvent des féminicides…

Pourquoi avez-vous décidé de prendre la plume ? Là aussi, c’est un hasard. Un, jour, un journaliste de la RTBF est venu me voir pour réaliser un podcast sur mon activité. Il a été vu 10 millions de fois ! C’est toujours le record officiel en Belgique. Aujourd’hui, il est même enseigné dans les écoles de journalisme. Suite à ça, un éditeur perspicace m’a contacté, et voilà ! Le premier livre s’est très bien vendu, les suivants aussi.

Quel est votre objectif avec vos livres ? Avant tout faire connaître mon job, car les séries américaines racontent n’importe quoi. J’essaie d’expliquer comment fonctionne réellement la médecine légale, à travers des anecdotes peu banales, comme celle du type qui se suicide en se tirant dessus 14 fois. D’ailleurs, il détient toujours le record mondial ! Au départ, on espérait vendre 5 000 exemplaires. Aujourd’hui on en est à 250 000, rien que pour le premier tome ! Donc ça marche très bien, ce n’était pas le but mais je ne boude pas mon plaisir. Et puis j’espère que le gouvernement belge va enfin entendre nos doléances sur la médecine légale.

La mort est un sujet délicat, pourtant vous faites aussi preuve d’humour dans vos récits. Pourquoi ? C’est ma nature ! Mais je ne rigole jamais du défunt, seulement des façons de mourir, qui peuvent parfois être amusantes, comme l’histoire du type qui veut vraiment en finir. Il accroche une corde au crochet du balcon supérieur de sa terrasse, il se la passe autour du coup, et puis il a un flingue, parce qu’il ne veut pas se rater. Hélas, il met l’arme de profil, tire, la balle traverse la bouche et coupe la corde. Il tombe en avant et meurt d’une fracture du crâne…

© BERNARD BABETTE

© BERNARD BABETTE

Plus personnellement, quel est votre rapport à la mort ? C’est une nécessité absolue, il faut laisser notre place. Sinon, il n’y a pas d’évolution, ni sociétale, ni génétique. De toute façon, on ne peut pas y échapper. C’est notre devenir à tous, elle fait partie de la vie, alors ça ne sert à rien d’en avoir peur. De mon côté, je préfère cette maxime : “Rions de la mort avant qu’elle ne nous sourie”. Et surtout, profitez bien de la vie avant de finir dans mes livres !

Quels sont vos projets ? Je vais avoir 60 ans l’année prochaine. Je donne toujours des cours à Liège et je vais reprendre les gardes en janvier, que j’ai dû interrompre après cette folie médiatique. Mais je veux retrouver ma vie d’avant. Si j’écoutais toutes les demandes, j’inaugurerais la foire du boudin ! On m’a même proposé d’être présentateur télé. J’espère tout de même publier un quatrième tome en 2026. Il y a aussi un projet de série en gestation, quelques chaînes frappent au portillon, et une adaptation en BD est dans les tuyaux…

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Propos recueillis par Julien Damien Photo © Bernard Babette

À lire / La Mort en face, Philippe Boxho (Kennes Éditions), 216p., 19,90€, kenneseditions.com (du même auteur : Les Morts ont la parole, Entretien avec un cadavre)

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