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Sous la surface

Vhils © Jose Pando Lucas

La plupart de ses contemporains recouvrent les murs de peinture. Lui a décidé de les graver, au marteau-piqueur et au burin. Alexandre Farto, aka Vhils, s’est révélé voici plus d’une quinzaine d’années avec un processus atypique, entremêlant dans un même geste création et destruction. L’artiste portugais est doublement célébré à Bruxelles : il a sculpté une gigantesque fresque derrière la place de la Monnaie et présente, au MIMA, une exposition d’œuvres inédites. Intitulée Multitude, celle-ci interroge notre relation à la ville. Rencontre avec un archéologue d’un nouveau genre.

Quand avez-vous décidé de graver des murs ? Vers 2007. C’est une évolution naturelle de mon travail de graffeur. Je souhaitais transcender la surface et explorer ce qui se trouve en dessous. Les murs des villes, recouverts d’affiches, de peinture et de temps, semblaient incarner une forme d’archéologie urbaine. J’étais fasciné par l’idée “d’éplucher” ces couches pour découvrir quelque chose de plus profond, qui parlait de nos expériences et de nos souvenirs communs. Il s’agit de rendre visible l’invisible, de donner une voix aux témoins silencieux des changements de la cité.

Quelles méthodes utilisez-vous pour y parvenir ? Marteaux-piqueurs, burins, perceuses et même acide et explosifs font partie de ma boîte à outils. Chacun offre une texture et une profondeur uniques, ce qui me permet de manipuler la surface de différentes manières. Le choix dépend du matériau sur lequel je travaille et de l’effet recherché.

Comment travaillez-vous, concrètement ? Mon processus est un mélange de planification minutieuse et de spontanéité maîtrisée. Il commence par un croquis détaillé de l’image, servant de guide pour le travail de sculpture. Les marteaux-piqueurs et les perceuses me permettent de retirer rapidement de grandes sections de la surface du mur, créant ainsi le contour grossier de l’œuvre. Les burins, quant à eux, favorisent la précision et des détails plus fins. L’acide et les explosifs introduisent un élément de chaos contrôlé. Ces méthodes provoquent des textures et des effets uniques, que les techniques de sculpture traditionnelles ne permettent pas d’obtenir. Le défi consiste à maîtriser ces outils puissants pour parvenir à cette finesse. C’est un équilibre délicat entre l’énergie brute et un artisanat minutieux.

MIMA (c) Alexander Silva

MIMA (c) Alexander Silva

S’agit-il de lier les concepts de destruction et de création ? Tout à fait. Cette dualité est au cœur de ma pratique. Elle reflète la vie elle-même, où la création implique souvent une certaine forme de destruction. En taillant dans les murs, je supprime une partie de la surface mais révèle aussi quelque chose de nouveau.

Vous semblez donc “fouiller” la mémoire des lieux, n’est-ce pas ? Oui, c’est un aspect important de mon travail. Chaque mur raconte une histoire et porte les traces des personnes qui ont vécu là. En exposant cette mémoire, j’espère susciter une réflexion sur notre relation avec le passé et sur la manière dont il façonne notre présent. À bien des égards, mon travail est un dialogue avec la ville. Je m’intéresse à la manière dont nous y laissons notre empreinte et comment, à leur tour, les espaces urbains nous marquent. Mes œuvres révèlent des récits cachés, oubliés, une expérience humaine qui s’est accumulée au fil du temps.

Comment choisissez-vous vos lieux d’intervention ? C’est une partie cruciale de mon processus. Le contexte du lieu et son histoire jouent un rôle important. Je cible les espaces qui ont quelque chose à raconter, où les couches de peinture et les affiches reflètent le passage du temps et la mémoire collective de la communauté. Le lieu doit entrer en résonance avec les thèmes que je souhaite explorer. La ville elle-même dicte souvent l’endroit où je travaille.

(c) DR

(c) DR

Vous représentez souvent des visages. Pourquoi ? Ils sont un symbole universel d’identité et d’humanité. Ils transmettent l’émotion et l’histoire d’une manière directe et puissante. Chaque ligne, ride ou expression est porteuse d’un récit personnel. En me concentrant sur les figures, je cherche à établir un lien personnel avec les spectateurs et à mettre en évidence l’individualité au sein de l’expérience collective. Mes portraits capturent l’essence des habitants. Il s’agit d’humaniser l’environnement urbain, de le rendre plus compréhensible et attrayant.

Quel propos développez-vous au MIMA ? Je me penche sur la relation complexe que nous entretenons avec les villes et sur la manière dont elles façonnent nos identités et nos mémoires collectives. L’accent est mis sur la façon dont ces lieux, en constante évolution, incarnent une multitude de récits et d’histoires. À l’ère du numérique, où l’information est rapidement diffusée et souvent éphémère, il est crucial d’explorer la manière dont ces interactions influencent notre perception de l’espace et de l’histoire.

Pourquoi ce titre, “Multitude”? Il reflète la diversité de la vie urbaine. Les villes sont des entités vivantes composées d’innombrables récits et d’expériences. Chaque individu contribue à cette image plus large, rendant les villes vibrantes et dynamiques. À travers cette exposition, je cherche à en saisir la complexité, montrant comment divers éléments s’assemblent pour former une identité collective.

Des paraboles gravées, au MIMA (c) Alexander Silva

Des paraboles gravées, au MIMA (c) Alexander Silva

Comment illustrez-vous ce propos ? À travers une variété d’œuvres. En utilisant des techniques soustractives telles que la sculpture dans les murs, je révèle des couches sous-jacentes de matériaux, qui symbolisent les histoires accumulées de la ville. Chaque pièce sculptée sert de métaphore aux récits cachés qui se trouvent sous la surface de la vie urbaine. En outre, j’incorpore des éléments tels que des objets trouvés, des affiches et des débris provenant des rues, en les intégrant à mes créations pour les relier avec la réalité physique de la ville.

Au premier étage du MIMA, nous découvrons également une autre facette de votre travail : vos vidéos. Pouvez-vous nous en parler ? Elles offrent une dimension différente à mon exploration de la vie urbaine et de la mémoire. Ces films documentent les processus qui sous-tendent mon travail, capturant les interactions avec différentes villes et leurs habitants. Ils complètent les œuvres d’art physiques. Cette série explore des thèmes tels que la dégradation urbaine, la transformation et la nature éphémère de l’art public. À travers ces récits visuels, je cherche à mettre en lumière des moments éphémères et quotidiens, offrant aux spectateurs une meilleur compréhension de ma pratique.

Les vidéos de Vhils au MIMA (c) Alexander Silva

Les vidéos de Vhils au MIMA (c) Alexander Silva

Pouvez-vous également nous parler de la fresque que vous avez réalisée derrière La Monnaie, à Bruxelles ? Elle vise à capturer l’essence de l’identité culturelle et historique de la ville. Elle représente un visage de femme sculpté dans le mur, symbolisant la résilience de la communauté. Elle incorpore différentes textures et couches, reflétant les récits complexes qui ont façonné Bruxelles au fil du temps. En révélant ces couches, je cherche à mettre en évidence les transformations en cours dans la ville et l’esprit inébranlable de ses habitants. Cette fresque sert de dialogue visuel, mettant en lumière les histoires et les souvenirs cachés dans le tissu de la ville.

Vous faites également référence à la révolution des œillets dans le visage de cette femme, n’est-ce pas ? Oui, cet événement, qui a marqué la transition pacifique vers la démocratie, au Portugal, revêt pour moi une grande importance. En incorporant cette référence, je cherche à relier le contexte historique spécifique de mon pays aux thèmes plus larges de la résistance, de la résilience et de la transformation (ndlr : En 1830, la place de la Monnaie fut le point de départ de la révolution belge). Ce visage de la femme symbolise l’esprit de changement et la lutte permanente pour l’identité et la justice. Il rappelle le pouvoir de l’action collective. À travers ce travail, j’espère souligner l’importance de se souvenir du passé lorsque nous naviguons dans les complexités du présent.

Quels sont vos projets ? Je souhaite toujours repousser les limites de mon travail et explorer de nouveaux supports. Bien que je sois profondément attaché à mes méthodes actuelles, je suis aussi intrigué par les possibilités qu’offrent les nouvelles technologies et nouveaux matériaux. Il peut s’agir de médias numériques ou d’autres techniques innovantes me permettant d’évoluer et me remettre en question. L’expérimentation est la clé du développement artistique. L’avenir, pour moi, c’est trouver de nouvelles façons de raconter les histoires qui comptent.

Propos recueillis par Julien Damien / Photo : © Jose Pando Lucas

À voir / Multitude – Bruxelles, jusqu’au 05.01.2025, MIMA, mer > ven : 10h-18h • sam & dim : 11h-19h 13,50 > 3€ (gratuit – 6 ans), mimamuseum.eu

À visiter / vhils.com

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