François Prost
Bienvenue au club
À travers le livre After Party, dont la seconde édition est publiée en septembre, François Prost immortalise des façades de discothèques dénichées dans la France des campagnes ou périurbaine. Réalisé en plein jour, cet inventaire révèle les boîtes de nuit sous une autre lumière, entre esthétique kitsch et mélancolie propre aux lendemains de fête.
Comment définiriez-vous votre pratique ? À l’origine je suis graphiste, ce qui a influencé ma manière de faire de la photographie. Je suis sensible à la typographie, à la composition et produis des images assez épurées et lisibles. En général, je crée des concepts sur une thématique sociétale que je décline sur le long cours, de façon systématique.
Justement, pouvez-vous nous parler de cette série, After Party ? Quand et comment est-elle née ? En 2011, un peu par hasard. J’étais en balade en vélo avec un ami en Bourgogne. À un moment, j’ai eu de l’avance sur lui et me suis retrouvé à l’attendre sur le parking d’un discothèque. C’était un dimanche matin. Il y avait des bris de verre par terre, des mégots, des bouts de flyers déchirés… Soit des vestiges de la fête, mais dans un environnement assez bucolique. On entendait les chants des oiseaux. Tout cela créait un décalage intéressant. J’ai pris des photos de la façade de la boîte, en réalité une ancienne ferme reconvertie en discothèque, avec quelques éléments de décor un peu kitsch, de grands lasers posés sur le toit et une bannière Fun Radio.
Ce fut donc le point de départ de cette série ? Oui, et de ma vocation de photographe. Quelques mois plus tard, j’ai commencé à chercher d’autres lieux de ce type en France, effectuant beaucoup de repérages avec Google Street View. À chaque fois que je partais en week-end voir des amis ou de la famille, je faisais un détour comme je le pouvais, en vélo, en train ou en voiture, pour retrouver ces boîtes et collecter des images de façades, jusqu’à obtenir une série consistante. J’ai sorti un premier livre en 2018. J’ai ensuite développé ce concept dans d’autres pays et sur d’autres bâtiments, comme des strip clubs aux États-Unis.
Qu’est-ce qui vous fascine dans ces façades de boîtes ? Ces décors un peu kitsch, la richesse typographique, les couleurs lumineuses. Au-delà de l’esthétique, c’est le côté nostalgique de ces endroits, qui ont marqué l’histoire de pas mal de gens, qui m’intéresse. Tout le monde a au moins un souvenir en discothèque. Ce sont des lieux, en tout cas pour ma génération, où l’on vivait ses premiers instants d’adultes, son premier baiser, les histoires de bagarre… Il y aussi un peu de mélancolie ici, comme un lendemain de fête à la lumière du jour. Le fait de les montrer de cette façon leur offre un éclairage différent.
Et d’un point de vue architectural ? Ce sont des bâtiments assez banals sur lesquels on pose des éléments de décoration pour communiquer quelque chose de festif, généralement kitsch. Les mêmes thématiques reviennent souvent : l’antiquité grecque, égyptienne ou romaine, avec son lot de pyramides ou de colonnades. Plusieurs boîtes s’appellent d’ailleurs “Le Colisée”, “Le Sphinx”… On ressent aussi l’influence de la culture américaine des années 1960-70, avec parfois des palmiers, l’aspect tropical. C’est un moyen de faire rêver les gens et de créer une espèce de mythologie.
Il y a également de l’humour dans vos images. On ne peut s’empêcher de sourire face à ces “débordements créatifs”… Oui, il y a un peu de malice, mais je ne me moque pas, c’est plus un petit clin d’œil. Je montre juste la façade, souligne quelques incohérences, cela pousse les gens à s’interroger.
Quelle est votre méthode ? Le dispositif est assez simple. J’essaie de m’assurer qu’il y ait un recul suffisant, j’utilise un trépied mais pas tout le temps, et un appareil numérique. Le plus important reste la lumière. Elle doit être assez forte, voire brutale, avec des ciels très bleus afin de faire ressortir les couleurs au maximum. J’ai donc tendance à rechercher le soleil, mais la série reste très équilibrée entre le nord, le sud, l’est et l’ouest de la France. Certaines photos affichent des tons grisonnants.
Comment choisissez-vous ces discothèques ? Pour répondre à des enjeux de composition, j’ai toujours cherché des lieux un peu dépouillés, sans trop d’éléments de décor autour. Je n’ai pas réalisé beaucoup de photographies en ville, les endroits intéressants sont plutôt en campagne, dans des zones assez isolées, permettant de bien mettre la boîte en avant. Quelque part, c’est une sorte de carte postale de la France des parkings, des ronds-points, des zones commerciales… On se retrouve en rase campagne, dans des champs de betteraves, en zone périurbaines. Les discothèques sont surtout situées là, dans ces endroits qu’on ne voit pas trop, en tout cas loin de l’image qu’on se fait habituellement de la France avec ses villages en pierre et ses clochers.
Les gérants ou patrons étaient-ils au courant ? Et si oui quelles furent les réactions ? Au départ je prévenais tout le temps. La plupart étaient heureux du résultat puis j’ai essuyé quelques remarques de gens pas très contents. Ils pensaient que je me moquais, alors que ce n’est pas du tout mon intention. Par exemple, c’est la maison d’édition du label ED Banger qui a édité le livre. Ces musiciens montent des fêtes branchées à Paris, mais trouvent pour la plupart l’origine de leur carrière dans ces discothèques-là, et les regardent donc avec respect et reconnaissance.
Au-delà de l’aspect graphique de ces images, visez-vous aussi un discours sociologique sur ces lieux, qui sont tout de même en voie de disparition… Complètement, et c’est aussi une manière de les archiver. D’ailleurs, je pense qu’au moins la moitié des boîtes que j’ai photographiées n’existe plus aujourd’hui.
Pourquoi selon vous ? Je ne suis pas un spécialiste, mais je pense que l’exode rural y est pour beaucoup. Les campagnes se dépeuplent, donc les discothèques, comme les boulangeries, disparaissent. La répression policière sur la consommation d’alcool au volant, qui est une assez bonne chose, a aussi joué. Et puis la manière de faire la fête a évolué, les gens restent un peu plus chez eux, sauf peut-être dans les grandes villes.
Quels sont vos projets ? Je vais éditer l’an prochain un livre sur les façades de Love Hôtels au Japon. Je réalise des portraits aussi, toujours selon un dispositif systématique, en l’occurrence de gens sortant de toilettes lors de festivals de musique. J’avais commencé par les touristes sortant des bus à Paris ou de camping-cars et de caravanes (la série Van Life).
Sinon, fréquentez-vous les discothèques ? De manière assez épisodique, même si ce ne sont pas mes lieux de sortie privilégiés. J’ai grandi à Lyon, lorsque j’étais jeune j’allais dans des boîtes en périphérie la ville. Parfois je rentrais, parfois non !
À lire / After Party, édition 2, François Prost, 208 p., 40€, francoisprost.com