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Une case en plus

(c) David Foutimasseur

Gaston Lagaffe, c’est bien sûr une paresse stratosphérique, une désopilante maladresse… et des inventions aussi loufoques que poétiques. Cette créativité débordante a essaimé partout dans le monde, jusqu’en Suisse romande. Et plus particulièrement dans un petit atelier situé dans le canton de Vaud, au pied des montagnes, où un certain David Foutimasseur passe des heures à reproduire grandeur nature, et à l’identique, les machines imaginées par le personnage de Franquin. Ici un mini-kart, là une poubelle télécommandée ou encore une voiture-lit… Dans quel but ? Pour s’amuser, m’enfin !

D’où vient ce pseudonyme, “Foutimasseur” ? C’est le nom d’artiste que je me suis donné en janvier 2016. Il est tiré du verbe “foutimasser”, un patois local autrefois utilisé en Suisse romande. Il signifie “s’occuper à des petits riens”, “faire quelque chose sans but, pour s’amuser “, et c’est une bonne définition de mon activité !

Comment votre passion pour Gaston Lagaffe est-elle née ? Quand j’ai eu dix ans, en 1996, mes parents m’ont offert mes premières BD de Lagaffe, et sa fantaisie m’a fasciné. Je suis tombé sur le gag du mini-kart, pour lequel il a installé un moteur de tondeuse sur un patin à roulettes pour faire du karting de bureau, et je me suis dit : “un jour, il faut que je construise ce truc, en vrai”.

Et c’est ce qui est arrivé… Eh oui ! Au départ c’était un défi. J’ai commencé avec ce mini-kart il y a neuf ans et il fonctionne encore. Je suis le premier surpris ! Pour respecter les proportions du dessin, j’ai choisi un moteur de débroussailleuse. L’engin atteint les 18 km/h en vitesse de pointe. Assis dessus à six centimètres au ras du sol, les sensations sont garanties.

L’avez-vous conçu facilement ? Non, ça m’a pris cinq ans. Lorsque j’ai finalisé la première version, j’ai parcouru deux mètres et la transmission a explosé… la gaffe ! Mais j’ai recommencé, et réussi. Je me suis alors demandé si d’autres inventions de Gaston étaient réalisables, et me suis rendu compte que c’était le cas pour environ 90%. Les autres défient les lois de la thermodynamique… Ensuite, j’ai construit la Gastonmobile, cette chaise de bureau à pédales, sa toute première invention.

Avez-vous une formation particulière ? Je suis polymécanicien. J’ai été durant trois ans tourneur-programmeur. Mon patron me permettait de rester après les heures de travail pour bricoler. Actuellement je suis réparateur de locomotive. Grâce à ce boulot, j’ai rencontré de nouveaux collègues et découvert d’autres métiers. À leur contact, j’ai appris le câblage électrique, la soudure… Petit à petit j’ai développé des connaissances jusqu’à fonder mon propre atelier, la Foutimusine.

Où se trouve-t-il ? Pas loin de chez moi, dans une usine désaffectée, mise à disposition pour une quinzaine d’artistes. Il y a des peintres, des sculpteurs… Tous ces talents me nourrissent beaucoup. J’ai récupéré un tas d’outils dans la poubelle de mon entreprise, grâce auxquels je fabrique mes machines.

Parmi elles, il y a donc cette fameuse voiture-lit… Oui, elle est spectaculaire. Je l’ai construite en onze jours, à l’identique. Un collègue m’a donné un lit de voyage pliable. Un autre m’a fourni le moteur et le châssis d’un scooter électrique à quatre roues pour personne à mobilité réduite. Je l’ai scié en trois parties puis adapté. J’ai ensuite effectué toute la connectique électronique. La voiture roule à une trentaine de km/h, et c’est vraiment incroyable de conduire en étant allongé !

Il y a aussi cette mini-tondeuse à gazon conçue pour éviter les pâquerettes, très poétique… Oui, c’est un gag qui m’a beaucoup touché. Gaston explique que sa tante est triste lorsqu’il faut tondre la pelouse parce que les pâquerettes y passent aussi. Il décide donc de construire une minuscule tondeuse pour contourner les fleurs, y consacrant d’innombrables heures, juste pour lui faire plaisir. C’est aussi ça que j’aime chez lui : le don de soi.

Pouvez-vous nous parler de cette poubelle radioguidée ? C’est la dernière planche publiée par Franquin dans le Journal de Spirou, en 1992, et donc l’ultime invention de Gaston. Il me tenait à cœur de la réaliser. Cela semblait facile au départ, mais en fait pas du tout ! Il m’a fallu deux mois de travail à temps plein. J’ai adapté des roues de patins à roulettes sur le châssis d’une voiture télécommandée, et ça marche ! Le couvercle de la poubelle fait même “clap-clap” quand elle roule. J’ai poussé les détails jusqu’à fixer une petite lumière rouge sur la télécommande, comme dans la BD.

Respectez-vous scrupuleusement les dessins de Franquin ? Ah oui, je mets un point d’honneur à ce que mes créations soient les plus ressemblantes possibles. Ce n’est pas toujours évident car il faut récupérer des objets correspondants aux dessins.

Les matériaux que vous utilisez sont donc tous récupérés ? Oui, car je n’ai pas beaucoup d’argent, la vie coûte chère en Suisse ! Dans mon entreprise, il y a une gigantesque benne à ferraille. J’ai négocié avec mes chefs la possibilité de récupérer ce que je veux, si je n’en fais pas le commerce, et ça arrange tout le monde.

Combien d’inventions de Gaston Lagaffe avez-vous concrétisées ? Cinq, j’en ai deux en préparation et quatre en projet… sur plus de 350 qu’il a créées ! Il me faudrait plusieurs vies pour toutes les reproduire ! J’ai la technologie, les outils, les matériaux, mais pas assez de temps. En moyenne une invention nécessite entre 50 et 100 heures de travail. Mais je privilégie ma vie de famille. Je suis marié et père d’un enfant. J’ai tout de même réduit mes horaires de travail à 90% pour passer plus de temps dans mon atelier, une après-midi par semaine, et profite de mes pauses du midi pour usiner mes pièces.

Sur quelles inventions travaillez-vous aujourd’hui ? Je suis penché sur le mini-robot rose à trois roues qui lance de petits nuages, “puf puf puf” ! Il apparaît sur la couverture du numéro 14. Pour créer ce nuage blanc, je vais utiliser une vapoteuse. Et puis cet été je vais m’atteler avec mon père à la cafetière de camping qui se transforme malgré lui en fusée !

Ce qui motive Gaston Lagaffe, c’est la fainéantise. Êtes-vous aussi un peu flemmard ? Je suis plutôt perfectionniste, mais oui, tout bon inventeur est surtout un grand flemmard, comme celui qui a imaginé la roue ! Il s’agit d’améliorer sa qualité de vie en s’embêtant le moins possible.

Avez-vous eu des contacts avec les éditons Dupuis ? Oui, de façon fortuite. Je leur avais demandé l’autorisation d’utiliser une image de la BD pour publier ma vidéo de mini-kart sur YouTube. Ça les a intrigués. En 2017, ils ont sorti un hors-série pour les 60 ans de Gaston Lagaffe, et du coup j’apparais dans ce numéro spécial, sur deux pages ! Aujourd’hui, j’aimerais participer au festival d’Angoulême pour présenter mes bricoles.

Que pensez-vous de la résurrection des aventures de Gaston Lagaffe, sous la plume de Delaf ? J’étais un peu sceptique au début, mais au final j’ai retrouvé un vieux copain longtemps perdu de vue. L’album est vraiment pas mal, et va permettre à une nouvelle génération de le découvrir. Ce n’est pas du Franquin, on est d’accord, mais c’est du Gaston Lagaffe. Hélas, celui-ci ne dévoile pas de nouvelles inventions, mais je guette la suite !

Vous consacrez-vous aussi à vos propres inventions ? Oui, Gaston Lagaffe ne représente qu’un cinquième de mes créations. À côté de ça, je réalise aussi des sculptures cinétiques, des vélos rigolos (avec des échelles par exemple), des véhicules improbables comme un caddie de supermarché transformé en char, et puis j’ai une passion pour Mad Max

Serait-ce la face sombre de David Foutimasseur ? Exactement ! Le côté Gaston Lagaffe est très chou, là on est dans le brutal avec des véhicules complètement fous, couverts de rouille et de pics ! Ma première voiture est une Coccinelle de 1971, je l’ai customisée pour la sortie de Fury Road en 2015. Mon objectif est toujours le même : s’amuser, et si ça fait rire les autres c’est du bonus. Tant qu’à faire des choses stupides, autant y aller sérieusement !

Propos recueillis par Julien Damien / Photo : David Foutimasseur
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