Cobie
Collé-décalé
“Oui à la guerre”. “Mort aux pandas”. “Pensez à vos enfants, n’en faites pas”. Les programmes des prochaines élections européennes s’annoncent un poil disruptifs. En réalité, ces drôles d’affiches sont signées par un certain Cobie. Passé maître dans l’art d’imaginer des slogans absurdes (quoique…), ce Grenoblois transforme l’espace public en vaste terrain de jeu, de Lille à Marseille, en passant par Lyon ou Paris. Décalés, satiriques, voire poétiques, ses messages dérouillent les zygomatiques comme ils incitent à la réflexion. Pas de doute, notre candidat favori pour siéger à Bruxelles, c’est lui !
D’abord, pouvez-vous nous dire un mot sur votre parcours ? Je suis un individu de 45 ans et je me balade dans la vie le nez en l’air en sautant à pieds joints dans les flaques d’eau pour voir ce que ça fait. Je n’ai suivi aucune étude d’art, de graphisme ou de design. Par contre, j’ai toujours dessiné, peint, bidouillé des trucs, sans jamais devenir spécialiste de quoi que ce soit. Côté professionnel, j’ai eu plusieurs métiers et je vis de mon art depuis quelques années.
Vous vivez à Grenoble, mais êtes aussi passé par Lille, n’est-ce pas ? J’ai grandi dans les Alpes du Sud et me suis installé à Grenoble. J’ai aussi traversé d’autres bleds comme Marseille ou, en effet, Lille. Je garde un très bon souvenir du Nord et j’espère y revenir bientôt pour exposer mes bêtises et en coller dans les rues. D’ailleurs, ami lecteur, amie lectrice, si tu tiens une galerie, un lieu d’art ou disposes d’une cave ou d’un garage, j’étudie toute proposition…
D’où vient ce nom, Cobie ? C’était le nom de ma chienne quand j’étais enfant. Je crois que c’est la seule partie de ma biographie officielle qui soit vraie.
Comment qualifieriez-vous votre activité ? Est-il ici question de “street art” ? À chacun sa propre définition du street art. Il doit bien y en avoir une officielle, académique, mais je ne la connais pas et ne suis pas sûr de vouloir la connaître. Pour moi, c’est tout simplement le fait d’exposer ses œuvres dans la rue plutôt que d’assiéger des endroits prévus pour. En ce qui me concerne, pendant de longues années, je ne me considérais pas comme un artiste. J’étais juste un sale môme qui collait des bêtises dans la rue. Aujourd’hui c’est toujours le cas, mais l’administration fiscale appelle ça “artiste-auteur”. Qui suis-je pour la contredire ? Cela dit, ce n’est qu’une petite partie de mon activité. Je fais aussi de la peinture, du dessin, de la musique et pousser des tomates fabuleuses dans mon jardin.
Comment l’idée de ces affiches vous est-elle venue ? Tout est parti des textes. Le choix du support est arrivé après. Au début des années 2000, j’écrivais des phrases absurdes et/ou marrantes sur des petits autocollants que je dispersais dans les rues. Cela m’amusait d’imaginer les passants tombant sur ces réflexions idiotes sorties de nulle part.
Comment votre pratique a-t-elle évolué ? Chemin faisant, j’ai découvert la sérigraphie. Alors, le support s’est agrandi, il est devenu plus visible dans la rue. Cela dit, à côté des panneaux de pub, mes productions, même au format A2, se distinguent à peine dans la jungle urbaine. Le choix du collage plutôt que le pochoir ou le graff participe du même esprit… On peut facilement décoller mes affiches qui, d’ailleurs, ne tiennent en moyenne qu’une dizaine de jours. Je ne veux pas imposer ma présence indéfiniment : on tombe sur l’affiche, on s’y arrête un court instant, ou pas. On lit la phrase, on rigole, on y cogite deux minutes, ou pas. L’inverse de la pub qui vient t’agresser à chaque coin de rue et s’avère beaucoup plus difficile à enlever que mes bêtises…
D’où vous viennent ces slogans ? Concernant l’écriture, j’assume une grande part de l’œuvre mais je dois dénoncer également mes deux compères et complices de toujours, Xéa et 5 Doigts, respectivement autrice et auteur de certains slogans et avec qui j’en ai co-écrits d’autres (et joue de la musique, tourne des vidéos, organise des expos). La première source, ce sont les médias grand public, comme les chaînes d’info en continu, les émissions idiotes et la publicité bien sûr… En gros, plus c’est institutionnel et médiocre dans la forme et le fond, plus c’est inspirant. Une campagne présidentielle vue à travers le prisme d’une chaîne d’info en continu, c’est ce qu’il y a de plus riche en termes d’idées débiles.
D’ailleurs, les élections européennes approchant, vos affiches vont trouver un peu de concurrence… voire une caisse de résonance ? Les périodes électorales sont toujours sympas pour coller. Certes, il y a de la concurrence en ville et la durée de vie des affiches diminue grandement, mais le plaisir de glisser un slogan idiot au milieu de ce déferlement de propos prétendument sérieux n’a pas de prix. Et puis c’est un moment durant lequel les passants s’attardent plus sur ce qui est collé sur les murs.
Vos messages renvoient souvent à l’actualité sociétale, n’est-ce pas ? Il ne s’agit pas de répondre à l’actualité “à chaud” mais de sentir l’absurdité sous-jacente. C’est souvent un pas de côté dans l’appréhension du propos qui permet de le détourner. Ça permet de rester lisible et compréhensible bien après que l’événement soit tombé dans les oubliettes de l’info. Et aussi, en traitant de certains thèmes, de passer pour un visionnaire quelques années plus tard. Je pense notamment aux affiches “restez chez vous” ou “épidémie de connerie”, qui ont trouvé un nouvel écho pendant l’épisode Covid 19.
Plus généralement, quel but poursuivez-vous à travers ces affiches ? Un seul : m’amuser. En les collant et en imaginant la réaction des passants lisant ces conneries. Et devenir riche, bien sûr. Ah mince, ça fait deux buts, du coup…
S’agit-il aussi de surprendre le public, au milieu d’un espace public saturé de messages publicitaires et politiques ? Oui, le but c’est vraiment de créer un moment suspendu. Une rencontre entre un propos, une phrase qui n’a rien à faire là, et une personne qui passe à cet endroit sans s’attendre à tomber dessus. En parcourant l’espace public, on reçoit plutôt des messages d’ordre pratique (panneau routiers, feux rouge), des slogans publicitaires (deviens beau, fort et riche en achetant ceci-cela), des messages revendicatifs (affiches et graff politiques) mais très peu d’humour (car même une pub a priori drôle reste une pub). On s’attend moins à un petit bout d’absurde posé là, au détour d’une petite rue ou sur une vitrine abandonnée. L’espace urbain est bien rangé, bien formaté, c’est la surprise et le décalage qui provoquent une réaction.
Obtenez-vous quelques retours de passants sur vos œuvres ? Au départ, je ne faisais qu’imaginer les réactions. C’était même le point de départ de ma démarche. Je ne présente pas un spectacle, ne produis rien en public. Je colle pendant la nuit et je ne suis pas là lorsque les gens découvrent mes méfaits. Et puis j’ai obtenu quelques retours. En repassant devant un de mes collages, j’avais un petit mot posé directement sur l’affiche. Ensuite, avec la visibilité croissante de mes conneries, les expos, certains m’ont rapporté leur étonnement devant mes collages, les lisant du coin de l’œil à vélo, sur le trajet de la fac ou du boulot. La réaction est positive en général.
Outre les slogans, vous cultivez aussi une identité graphique bien identifiable, n’est-ce pas ? Oui, elle est avant tout dictée par un objectif : celui d’être lu. Il faut que le message soit facilement décryptable. Cela implique une police de caractère simple, ici l’Akzidenz-Grotesk, la toute première police sans empattement de l’histoire de l’Humanité (c’est émouvant) créée en 1896 et qui a inspiré la mythique Helvetica, 60 ans plus tard. Il faut aussi très peu d’éléments graphiques, quasiment jamais d’illustration et une monochromie dictée à la fois par le souci de simplicité et ma légendaire fainéantise : c’est plus facile de sérigraphier en une seule couleur… Enfin, cela renvoie au style suisse ou international et son (fameux) principe de design “less is more”.
Qu’en est-il du format ? J’ai commencé avec un petit format, de type carte de visite. Puis, je suis passé au A2 en découvrant la sérigraphie. C’est un modèle idéal en ville : plus petit on est invisible, plus grand, j’aurais l’impression d’imposer le message. L’idée n’est pas que 100 personnes lisent l’affiche en même temps, mais qu’un individu puisse tomber dessus. Je privilégie la qualité de la rencontre entre un message et une personne plutôt que la quantité.
Concrètement, comment travaillez-vous ? En général, je colle en milieu urbain, dans les endroits où il y a du passage. J’opère tôt le matin, vers 6h, en même temps que les agents de nettoyage. Tout le monde se promène un seau et un balai à la main, je passe donc inaperçu.
Cultivez-vous l’anonymat ? Je ne donne pas mon vrai nom, en effet. Au début parce que je menais deux vies en parallèle : un boulot “sérieux” avec des “responsabilités” et mon activité de colleur de bêtises. Et puis, l’idée est de surprendre le public, pas de me faire mousser en tant qu’auteur. Cela dit, dans les villes où je colle beaucoup, l’identité graphique de l’affiche ne laisse pas beaucoup de place au doute. Je ne montre donc pas trop mon visage, ça permet aussi de me rendre dans mes propres expos incognito et d’observer la réaction des visiteurs.
Parmi notre sélection d’affiches, lesquelles seraient vos préférées ? J’ai une certaine tendresse pour “Mort aux pandas” et “Oui à la guerre”. Ce sont les deux premiers slogans conçus directement comme des affiches et non comme des phrases nues. C’était en 2002, à l’occasion d’un concert que l’on donnait à Grenoble et pour lequel on avait imaginé une déco sur scène et dans la salle.
Avez-vous des expositions en vue ? La prochaine expo se tiendra à Méaudre, au cœur du Vercors, en Isère, de fin mai à fin août. Elle s ‘appellera On se retrouve après une (courte) page de publicité. En duo avec ma complice Xéa et ses toiles hyperréalistes inspirées des pubs des années 1960,70 et 80. Et puis, j’ai des projets à Paris et à Nantes, en lien avec des laboratoires scientifiques universitaires, suite à une résidence de création sur le campus de Grenoble en 2023 autour du thème du changement climatique et du discours scientifique passé à la moulinette des médias grand public.
D’autres souhaits ? Devenir maître du monde. Et puis me préparer des coquillettes. Plus sérieusement, j’aimerais beaucoup découvrir la Belgique, notamment Bruxelles, y exposer et coller des affiches idiotes. Comme je le disais précédemment, j’étudie toute proposition… Niveau création artistique, je continue la série Le cas échéant tout en travaillant sur d’autres choses, notamment pour la radio, une adaptation au théâtre de certains de mes textes ou une collaboration pour des parodies de vidéos survivalistes. De quoi s’amuser en se marrant, quoi…
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