Rodin
Le corps redécouvert
C’est un double événement qui s’ouvre à Mons, au printemps. La capitale culturelle de la Wallonie inaugure son nouveau complexe muséal en accueillant un monstre sacré de la sculpture : Rodin ! Et la cité du Doudou a vu les choses en grand. Baptisée Une Renaissance moderne, cette exposition rassemble près de 200 pièces de l’artiste français, dont ses plus grands chefs-d’oeuvre, du Penseur aux Bourgeois de Calais, en passant par L’Homme qui marche. Elle révèle aussi des dessins inédits, l’influence méconnue de la Renaissance sur son travail… et une indéniable “belgitude”.
À bien y regarder, exposer Rodin en Belgique n’a rien d’anodin, car c’est bien dans le plat pays qu’il révéla son talent. Plus précisément dans l’atelier de Carrier-Belleuse, à Bruxelles, dans les années 1870. « C’est ici qu’il a commencé à travailler dans l’espace public, où il a finalement appris son métier », confirme Xavier Roland, responsable du pôle muséal montois. Durant cette période, le Français participe ainsi aux travaux de décoration du Palais de la Bourse. Il réalise surtout son premier coup d’éclat : L’Âge d’airain. Ou, dit autrement, « Rodin arrive chez nous comme artisan, et il en repart artiste ». La pièce fit scandale. Ce nu (trop) parfait fut suspecté d’être un moulage sur nature, mais porte en lui tout le génie de l’artiste. C’est un jeune soldat belge, Auguste Ney, qui servit de modèle pour l’oeuvre, laquelle rompt avec l’histoire de la sculpture. « Son mouvement n’est relié à aucune référence classique ou mythologique, il déploie simplement son corps dans l’espace ». Elle renvoie aussi au David de Donatello, et la comparaison n’a rien d’hasardeuse…

Auguste Rodin, Le Penseur, 1881-1882 Bronze, fonte J. Petermann 1899 © Bruxelles, musées royaux des Beaux-Arts de Belgique
Le corps libéré
Durant son séjour en Belgique, Rodin fera en effet une découverte essentielle : la Renaissance, qu’il explore par le biais “d’émissaires” flamands, tel Rubens (dont il reproduira sur papier Le Coup de lance) et à la faveur de voyages en Italie, bien sûr, tandis qu’il vit encore à Bruxelles. Là se trouvent les racines de son génie, dans ce mouvement culturel et artistique qui vit passer l’Europe du Moyen Âge aux Temps modernes, et fera naître l’humanisme. L’Homme et son corps changent de représentation, sont au centre de l’attention. Rodin va puiser dans ce langage, hérité de la Grèce antique, pour déployer le sien, donnant littéralement vie à la matière. C’est la fragmentation du corps. « Dans ses sculptures on sent les entrailles vibrer, et chaque membre a son autonomie. Une main, une jambe ou un bras sont des entités à part entière. Ils expriment l’humanité sans même le reste de l’anatomie ».

Auguste Rodin, Monument des Bourgeois de Calais, 1889 Bronze, 3e fonte, Fonderie nationale des Bronzes de Bruxelles, 1905-1906 © Mariemont, Belgique, musée royal de Mariemont
Les Bourgeois de Mariemont
Cette exposition, « qui retrace toute sa carrière », met ainsi en lumière cette influence peu connue, grâce à des dessins issus des collections montoises (signés Dürer, entre autres) ou ce dialogue au sein de la Collégiale Sainte-Waudru avec une référence belge de la Renaissance : Jacques Du Broeucq. Empli de découvertes, de contrepoints, de “rencontres” inédites (notamment avec l’artiste contemporaine Berlinde De Bruyckere), ce parcours n’est pas non plus avare de chefs-d’oeuvre. En témoigne cette présentation à même le sol, dans le Jardin du Mayeur, des Bourgeois de Calais… qui sont aussi un peu belges. Ceux-ci proviennent en effet du parc de Mariemont, à Morlanwelz. « Eh oui, beaucoup de gens ignorent que la Belgique possède l’une des douze éditions originales de cette oeuvre ». Pour le coup, ça risque de se savoir…