Elliot Ross
Des Animaux et des hommes
Vous êtes-vous déjà reconnus dans le regard d’un moineau ? Celui d’une hyène ? Sentis désarçonnés face au visage interrogateur d’un poisson ? C’est la troublante expérience proposée par l’exposition Seeing Animals, présentée au Musée de la photographie de Charleroi. Celle-ci dévoile le travail du photographe américain Elliot Ross, dont les clichés animaliers, réalisés à la manière de portraits d’êtres humains, interrogent notre condition, et plus largement notre rapport à la nature.
Ici les murs n’ont pas d’oreilles, mais des yeux. Par dizaines. Et ils semblent nous scruter. On s’arrête devant l’une de ces silhouettes. Regard mélancolique, bras repliés sur les genoux, posture légèrement recroquevillée… c’est à n’en pas douter un joli portrait, très expressif. Sauf qu’il s’agit là d’un singe. Oui, nous sommes à mille lieues de la photographie animalière classique, façon National Geographic. « C’est même totalement différent, confirme Xavier Canonne, le directeur du musée. Ces animaux sont photographiés exactement comme des êtres humains le seraient dans un studio, et leurs “visages” dévoilent des caractères ». En témoignent cette autruche boudeuse nous tournant le dos, ou ce requin grimaçant.
Félin pour l’autre
Elliot Ross a démarré cette déstabilisante série un peu par hasard. « Il y a quelques années, mon épouse a perdu un chat, auquel elle était très attachée, confie-t-il. Elle avait accroché une photo de lui dans la maison, et celle-ci m’a beaucoup frappé. J’ai ressenti beaucoup de similarités avec cet animal, et en même temps des différences. Cette ambiguïté parcourt mon travail ». Lequel s’apprécie uniquement en noir et blanc. « Cela permet de mettre en avant le sujet. Même si c’est le regard qui ressort le plus, cette monochromie souligne aussi les plumes, les poils… ».
Miroir déformant
Pour parvenir à ce résultat, l’Américain élabore ses clichés avec un procédé qu’il compare à la sculpture : pixel par pixel, il efface l’arrière-plan pour mieux sublimer ses modèles. Ici une hyène surgit de la pénombre, là un phoque nage dans des eaux insondables… comme autant d’apparitions nocturnes, voire oniriques. « Je me suis rendu compte que mes images ressemblaient à des rêves. J’isole ces créatures comme celles apparaissant dans nos songes ». Mais elles sont bien réelles. Elliot Ross les trouve entre San Francisco et New York où il vit, en ville ou dans les zoos. Ces photos seraient-elles des reflets de notre propre espèce ? « Je reste sceptique vis-à-vis de l’anthropomorphisme. Je n’imagine pas du tout ces animaux parler ou jouer aux cartes, comme chez Walt Disney ! », rétorque l’artiste, qui parle d’abord de respect face à cette faune. Ces mammifères, poissons ou oiseaux sont-ils si différents de nous ? À l’heure où l’Homme détruit doucement mais sûrement la nature, la question mérite d’être posée…