Les 150 ans de l’impressionnisme
Mélanie Lerat
L’impressionnisme a 150 ans. Pour célébrer cet anniversaire, le musée d’Orsay, qui abrite la plus importante collection au monde de peintures de ce mouvement, prête 178 oeuvres à 34 institutions françaises. Parmi elles, le MUba reçoit 58 chefs-d’oeuvre signés Monet, Renoir, Pissarro, Cézanne, Caillebotte… soit la plus importante part de ce corpus. Cette exposition (impressionnante, forcément) focalise sur le paysage et plus largement la nature. Mélanie Lerat, la directrice du musée tourquennois, nous en dévoile les contours par petites touches…
Comment définir l’impressionnisme ? C’est avant tout un mouvement de peinture de plein air. Les impressionnistes posent leur chevalet dans la nature, face à une forêt ou un champ. Cette approche marque une rupture avec la tradition académique, car auparavant l’oeuvre était exécutée en atelier, de mémoire. De plus, ces artistes ont renouvelé les sujets de la peinture.
De quelle façon ? Avant eux, un paysage servait avant tout une scène historique ou mythologique, ici il se suffit à lui-même. Les impressionnistes choisissent des sujets simples, qu’on n’imaginait alors pas dignes d’être peints, il y a par exemple des compositions avec des enfants ou saisissant le quotidien. Cette attention portée à la vie telle qu’elle est suggère ainsi l’introduction de motifs modernes, notamment le chemin de fer, les ponts, les usines, les boulevards haussmanniens à Paris… Ces artistes témoignent d’une période de grands bouleversements, celle de la révolution industrielle.
Le fait de peindre à l’extérieur n’est pas anodin, n’est-ce pas ? C’est vrai, car cela va pousser ces peintres à représenter la lumière et ses changements, de porter une attention particulière à la nature et ses mouvements. L’impressionniste s’attache aux jeux de reflets, au miroitement du ciel sur l’eau. Il capture l’éphémère, le fugace, l’intangible. Il y a quelque chose de très vaporeux ici, de l’ordre de la sensation.
Est-ce pour cela qu’ils furent appelés les impressionnistes ? Oui, et au départ c’était plutôt péjoratif, car ils furent d’abord rejetés des salons. Les critiques jugeaient qu’ils s’intéressaient à des sujets mineurs par rapport à la grande peinture d’atelier…
Pourquoi ces artistes peignent-ils de cette manière, obtenant ce rendu “flou” ? Pour justement représenter ces instants fugaces. Les couches juxtaposées de matière traduisent la rapidité avec laquelle ils peignent. Auparavant, une toile achevée devait être parfaite. Ici, la touche est visible, et c’est l’oeil du spectateur qui recompose le motif.
Quel serait le manifeste de l’impressionnisme ? Impression, soleil levant, de Claude Monet, le chef de file du mouvement, dont l’aboutissement sont Les Nymphéas. Il n’y a là plus de ciel, d’environnement, seulement un jeu de reflets. La toile nous immerge dans la sensation plutôt que la représentation. Cette oeuvre ouvrira beaucoup de portes, notamment celles de l’expressionnisme, pour des artistes comme Pollock ou Rothko. On bascule alors dans l’abstraction, l’expression pure de la couleur. Voilà pourquoi l’impressionnisme est un mouvement révolutionnaire !
Quel est le contexte de cette exposition ? Pour fêter les 150 ans du mouvement, le musée d’Orsay, qui possède la plus grande collection impressionniste au monde, a décidé de diffuser ses trésors dans toute la France. Chaque musée en reçoit généralement trois ou quatre. Le MUba en accueille lui 58. C’est d’ailleurs la première fois que l’institution parisienne confie un ensemble aussi important, à la fois en quantité et en qualité, car on compte des oeuvres majeures. C’est un geste très généreux, et pour le public une occasion rare de découvrir ces tableaux près de chez lui.
Pourquoi Tourcoing a-t-elle eu les faveurs du musée d’Orsay ? Parce nous avons développé une politique d’exposition exceptionnelle en partenariat avec des musées nationaux ces dernières années. Ce fut par exemple le cas pour Chrétiens d’Orient en 2018 avec l’Institut du monde arabe, puis en 2020 avec le Musée Picasso-Paris.
J’imagine qu’il y a des précautions particulières pour organiser ce prêt ? Oui, en termes de transports, d’emballages, de manipulation… tout est démultiplié !
Comment avez-vous conçu ce parcours ? Il est la fois thématique et chronologique, en cinq parties. On s’intéresse d’abord aux origines du paysage impressionniste, aux précurseurs possibles, issus de l’école de Barbizon ou de celle de Fontainebleau. Ensuite on explore les motifs de prédilection de ces peintres : les bords de Seine, la représentation de l’eau, des jardins, des paysages de campagne au fil des saisons, et notamment le printemps, qui occupe une place importante.
L’hiver n’est pas en reste… Tout à fait, nous accordons toute une section au paysage enneigé. Ce sujet résonne d’ailleurs avec nos conditions climatiques actuelles, où la neige se raréfie, alors qu’à cette époque les hivers étaient très rigoureux. On peut par exemple citer Effet de neige à Vétheuil de Monet, où la neige n’est jamais blanche, prenant des tonalités bleues, vertes avec les reflets… On évoquera aussi le paysage “pur”, se dirigeant vers une forme d’abstraction, en tout cas une attention très forte portée aux effets de lumière, au mouvement, à l’image de Meules, fin de l’été de Monet.
Pouvez-vous aussi nous parler du Saule pleureur de Monet ? Il est présenté dans la dernière salle de l’exposition, c’est une toile de fin de carrière, presqu’abstraite. On ne voit pas le tronc de l’arbre, ni son environnement, un peu comme si le tableau n’avait pas de centre ni de limite. Il est placé face à L’Homme au printemps rouge d’Eugène Leroy, une œuvre qui déborde, toute en matière. Il n’y a pas de filiation directe entre les deux, mais on peut percevoir dans ce dialogue des liens sur le travail de la couleur, la dissolution du motif. Ces artistes s’affranchissent du réalisme pour privilégier la sensation.
Sur quelles autres œuvres pourrions-nous focaliser ? La Barque pendant l’inondation, Port-Marly, d’Alfred Sisley. La toile montre la Seine recouvrant toutes les berges jusqu’au seuil de la maison d’un marchand de vin. L’artiste ne traite pas la dimension dramatique ou historique de l’événement (qui résonne encore une fois avec notre actualité climatique). C’est plutôt une aubaine pour peindre le ciel et ses reflets sur l’eau, avec un jeu entre le bleu et les touches de blanc. On peut aussi évoquer Pont du chemin de fer à Chatou, de Renoir, réunissant tous les motifs impressionnistes : le petit jardin, les marronniers en fleurs symbolisant l’exaltation du printemps, puis on observe au loin le pont de chemin de fer, sujet moderne par excellence.
Qu’en est-il de la scénographie ? Elle est conçue comme un paysage ménageant des points de vue sur les oeuvres. La scénographie exploite la qualité architecturale du musée, notamment sa grande verrière. Cette clarté souligne le lien avec la recherche de la lumière propre aux impressionnistes. Et puis ces peintres utilisaient des couleurs claires, assez chatoyantes. On accorde donc les tons des tableaux et celui des murs des galeries. Nous présentons également une projection sur une surface de 12 mètres de long, pour montrer des oeuvres que l’on ne pouvait pas obtenir, comme Les Nymphéas.
Vous focalisez sur les paysages impressionnistes, la nature. Ce n’est pas un détail, au regard des questions actuelles sur le dérèglement climatique… Oui, le lien avec notre époque se construit naturellement, dans l’esprit et l’œil du visiteur. On parlait de révolution industrielle, d’usines, et cette période est aussi un moment clé, quelque part les prémices de ce qu’on connaît aujourd’hui. En même temps, il s’agit d’éviter des rapprochements un peu superficiels et anachroniques. L’idée n’est pas de dire que les impressionnistes étaient des écologistes avant l’heure, mais d’ouvrir des pistes de réflexion.
Qu’est-ce qui vous plaît tant dans ce dans ce mouvement ? Il est passionnant d’un point de vue historique. Il se passe beaucoup de choses durant le XIXe siècle et notamment en peinture. Ces artistes se placent dans la continuité de très grands maîtres, comme Courbet, Manet, Millet, tout en regardant vers la modernité, c’est un moment pivot. On voit aussi comme la subjectivité de l’artiste émerge, il traduit ce qu’il ressent dans son for intérieur, sa sensibilité, ouvrant un autre champ des possibles. Cette tendance accompagne aussi la littérature, avec Baudelaire par exemple, mais aussi plus tard dans la musique avec Debussy.
Au final, quel est votre objectif ? Il ne s’agissait pas de monter une exposition historique sur l’impressionnisme, car cela a déjà été fait, mais plutôt de poser un regard moderne sur ce courant, en évoquant en filigrane l’écologie, et en élargissant le propos à des courants différents, qui ont succédé à l’impressionnisme. Il y a par exemple une salle autour de Gauguin et l’école de Pont-Aven, où la couleur prend le dessus. Puis on oriente le parcours vers nos collections, plus contemporaines, posant sur elles un regard nouveau.
Les Enfants impressionnistes du musée d’Orsay
Pour les 150 ans de l’impressionnisme, la Piscine a aussi été gâtée. Le musée d’Orsay lui prête cinq oeuvres, dont des peintures de Pissarro, Renoir et l’iconique Petite Danseuse de quatorze ans de Degas. Elles sont présentées au coeur du parcours permanent, dans la salle consacrée à l’enfance, permettant des dialogues avec les trésors roubaisiens. À l’instar de cette conversation entre La Petite Châtelaine de Camille Claudel et le Garçon au chat de Renoir…
>> Roubaix, jusqu‘au 26.05, La Piscine , mar > jeu : 11h-18h • ven : 11h-20h • sam & dim : 13h- 18h, 11/9€ (grat.-18 ans), roubaix-lapiscine.com
Monet-Duhem
Côté impressionnisme, Douai n’est pas en reste. Sous l’impulsion de l’artiste Henri Duhem (1861- 1941), le musée de la Chartreuse a en effet acquis, durant 40 ans, une collection de tableaux signés Renoir, Pissarro ou Sisley. Celle-ci est aujourd’hui mise en valeur à travers une exposition de circonstance, rehaussée par le prêt de La Rue Montorgueil de Claude Monet, par ailleurs une des sources d’inspiration de Duhem. La boucle est bouclée !
>> Douai, 27.03 > 24.06, Musée de la Chartreuse, mer > lun : 10h-12h & 14h-18h, 5/2,50€ (gratuit -26 ans), museedelachartreuse.fr
Et aussi…
Histoire de parfaire cette promenade impressionniste dans les Hauts-de-France, on pousse les portes du Palais des beaux-arts de Lille, pour y découvrir six oeuvres de Claude Monet représentant le village de Vétheuil. Puis, on se rend à Amiens, au musée de Picardie, pour admirer Sur la plage d’Édouard Manet, toile peinte en 1873 à Berck-sur-Mer. Monet à Vétheuil.
>> Les Saisons d’une vie Lille: 11.04 > 23.09, Palais des beaux-arts // Sur la plage impressionniste. Dans l’oeil d’Édouard Manet : Amiens, 16.03 > 16.06, Musée de Picardie