Fares Cachoux
Penser les plaies
Né en Syrie, désormais installé en France, Fares Cachoux s’est révélé avec des oeuvres colorées, épurées et résolument engagées. Quelque part entre le graphisme, la peinture et l’affiche, ses créations dénoncent les horreurs de notre époque, de la tyrannie dans son pays natal à l’obscurantisme religieux. Publiées dans de nombreux journaux à travers le monde, ses images décryptent l’actualité avec une acuité et un sens de l’ironie évoquant les pochoirs de Banksy – lequel l’invita à participer à un exposition collective, Dismaland, en 2015. À Tourcoing, l’Institut du monde arabe lui consacre sa première grande exposition en France.
L’oeuvre de Fares Cachoux est avant tout affaire de contraste : entre la beauté de ses images, pop et minimalistes, et la dureté du propos, évoquant la guerre, l’exil, l’oppression des femmes… Dit autrement, l’artiste « saupoudre la mort de sucre », explique-t-il, en citant une expression syrienne. « Il ne s’agit pas de rendre l’horreur acceptable, mais regardable ». C’est par exemple cette mouette posée sur le dos d’un cadavre de migrant flottant dans la Méditerranée, ou cette scène s’apparentant à une superbe nuit étoilée. En s’approchant, on découvre en réalité un hélicoptère lâchant une bombe sur des maisons, enflammant les ténèbres de braises… Ce tragique événement s’est déroulé en 2015 à Daraya, dans la banlieue de Damas, ville sur laquelle s’est acharné le régime de Bachar al-Assad. « On ne sait pas combien il y a eu de victimes, soupire notre hôte. Cette œuvre est inspirée d’une vidéo filmée par un activiste. Je l’ai reproduite à ma manière, en l’habillant avec poésie, pour que les gens ne détournent pas les yeux face à ce crime, sans le dénaturer ».
Le boucher de Damas
Né en 1976 à Homs, en Syrie (où il est désormais persona non grata) Fares Cachoux a d’abord suivi des études d’ingénieur informatique à l’université d’Alep, puis en art numérique à Paris, avant de travailler durant une dizaine d’années pour des musées, dans le Golfe. Et puis survient la révolution syrienne, en 2011. Il décide de tout quitter, pour élaborer son propre langage visuel, et dénoncer l’innommable. L’une de ses premières créations représente la « sinistre silhouette » de Bachar al-Assad faisant face à des mômes, un couteau de boucher caché derrière le dos. L’oeuvre, désormais publiée dans les manuels scolaires français, dénonce le massacre perpétré à Houla en 2012, où les milices du dictateur ont tué, « principalement à l’arme blanche », 108 personnes, dont 49 enfants. Dans cette même image on remarque également une des signatures stylistiques de Fares Cachoux : le cercle. « Il me sert à attirer les regards vers l’épicentre de la composition. Mais on peut aussi y voir un soleil ». Comme dans cette impression où une femme, allégorie de sa ville natale de Homs (« martyrisée car très vite engagée dans la révolution ») porte sur son dos toute la Syrie, gravissant les marches d’un escalier pour l’emmener vers la lumière.
Femmes libérées
Profondément engagé, le travail du Franco-Syrien n’est pas non plus dénué d’humour. En témoigne la série Eye to Eye. Résultant de ses années passées dans les pays du Golfe, celle-ci interroge la relation entre tradition et modernité, ce bizarre antagonisme entre rigorisme religieux et capitalisme, « dans une zone du monde qui a connu des mutations brutales, avec la découverte du pétrole et cette richesse soudaine ». Son fil conducteur ? La femme, toujours cachée derrière un niqab et des lunettes de soleil. Son identité est invisibilisée, mais pas sa personnalité ni sa soif de liberté. : elle est ici casse-cou sur un skate, là aventurière au guidon d’une grosse moto ou rockeuse, formant les cornes du diable avec ses doigts… Faut-il y voir un symbole féministe ? « Peut-être, mes œuvres ne portent aucun jugement, élude l’intéressé. Disons que j’essaie de rendre hommage aux femmes, qui subissent tant d’injustices au fil des siècles ». En témoignent les quatre reines orientales accueillant le visiteur, à l’entrée de l’IMA, et semblant en harmonie avec la faune et la flore – comme si elles étaient elles-mêmes la nature. « Si l’on vivait dans une société maternaliste, le monde irait sans doute beaucoup mieux », dit-il. Au terme de cette exposition, on découvre enfin la dernière grande préoccupation de l’artiste : le péril climatique. Elle est ici résumée par une image post-apocalyptique. On y voit un oiseau posé sur un caddie à la renverse, vestige de la société de consommation, sur lequel la nature a repris ses droits. Son nom ? A Better World… Tout est dit !
Site internet : http://www.imarabe.org/antenne-npdc
Ouvert du mardi au dimanche
de 10 heures à 18 heures