Musée des égouts
En souterrain conquis
Bruxelles ne manque pas de charme, ni de surréalisme. Parmi les visites insolites, on vous aurait bien conduits au musée de la frite ou de la bière, voire dans la garde-robe du Manneken-Pis. On a préféré vous emmener six mètres sous terre… Oui, c’est ça, dans les égouts ! Oh, pas de tortues ninjas à l’horizon. Par contre, vous saurez tout sur le rat, qui n’a pas grand-chose à envier aux chevaliers d’écaille, question super-pouvoirs.
Un musée des égouts ? Quelle drôle d’idée. Enfin pas tant que ça, à bien y regarder. Car ce qui se passe sous les pieds des Bruxellois est fascinant. Les entrailles de la capitale cachent en effet un labyrinthe de plus de 350 km, passant sous chaque rue et habitation. On y trouve même une rivière souterraine, la Senne, autour de laquelle la ville s’est construite et où finissaient tous les déchets et déjections. Dans les années 1870, on décida de voûter ce dépotoir et d’élaborer un réseau des égouts, achevé au XXe siècle. Avec une particularité : il est gravitaire. Pour faire simple, disons que les eaux usées s’évacuent en descendant, vers un point en aval, bien aidées par un système de siphons et de pompes.
Voisins invisibles
Voilà le genre de choses que l’on apprend en visitant le Musée des égouts, inauguré en 1988, dans les anciens pavillons d’octroi de la Porte d’Anderlecht, pas loin de la gare du Midi. Dans ce dédale souterrain, on découvre aussi le métier d’égoutier, une collection d’objets hétéroclites (dont un vieux wagon-vanne, qui servait au curetage des collecteurs), le cycle de l’eau (cet « or bleu »). On peut même longer une partie du pertuis de la Senne et se balader au sein d’un collecteur, sur une cinquantaine de mètres. Y croisera-t-on des rats ? « On en aperçoit le matin ou le soir, furtivement, car ils sont très craintifs, répond Aude Hendrick, la conservatrice. Cette question revient souvent parmi nos visiteurs. C’est d’ailleurs ce qui nous a donné envie de nous intéresser à cet animal méconnu. Aujourd’hui, on en sait plus sur l’ours blanc ou la baleine bleue, pourtant c’est notre voisin depuis des siècles ».
Le mal-aimé
Ainsi naquit l’exposition Rattus, notamment conçue avec des scientifiques, et qui s’ouvre avec un spécimen naturalisé… tenant une frite dans la gueule ! L’objectif de ce parcours ? Déconstruire les clichés. « Oui, la peste lui colle à la peau. Or, cette maladie était en fait transmise par la puce du rat noir, qui lui a quasiment disparu de nos contrées ». La bestiole qui fouille les poubelles de nos villes est essentiellement un rat brun, ou Rattus norvegicus. Et, comme en témoignent les clichés du photographe animalier Thomas Jean, qui l’a “traqué” dans les rues de Bruxelles, il ne manque pas de grâce. Ni d’hygiène. Pour cause, « il peut se laver jusqu’à sept fois par jour ». Le rongeur affiche aussi pas mal de super-pouvoirs. Tenez, ses dents, dont l’émail est constitué de fer (d’où cette teinte orangée, due… à la rouille) : elles sont aussi dures que l’acier ! Ce qui lui permet de grignoter du béton – sa dentition poussant à raison de 14 cm par an, il aurait tort de se priver.
Chaud lapin
Si le nombre de rats bruxellois reste inconnu (« beaucoup de chiffres circulent, mais ne s’appuient sur aucune étude scientifique crédible »), sachez qu’un couple peut engendrer jusqu’à 15 000 rejetons par an ! Son squelette hyper-souple l’autorise également à remonter des égouts via les canalisations pour prendre un petit bain dans la cuvette de nos toilettes – ce qui reste rare, précisons-le. Alors, évidemment, les moyens pour s’en débarrasser pullulent, du percuteur aux anti-coagulants (ou “mort aux rats”) déversés à grandes doses dans les métropoles… et qui contaminent irrémédiablement nos rivières – donc les poissons, qui n’avaient rien demandé. Mais est-ce vraiment le rat, le problème ? Qui inonde le monde de ses déchets ? Ou, dit autrement : qui est le plus effrayant, et même dégoûtant, entre le Rattus et l’Homo detritus ?
Le Musée des égouts
Bruxelles – Porte d’Anderlecht, mar > dim : 10h-17h, 10 > 1,25€ (gratuit – 18 ans et Bruxellois) +32 (0)2 279 43 83, sewermuseum.brussels
Rattus, jusqu’au 16.06.2024