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Géométrie variable

 © Aket Kubic

Mêler street art et cubisme ? Il fallait y penser. C’est justement l’idée d’Aket Kubic. Derrière ce pseudonyme se cache un jeune homme prénommé Anthony, originaire des Hauts-de-France, et dont les oeuvres sont reconnaissables au premier coup d’oeil. Pour tout dire, elles ont déjà parcouru le monde… jusqu’à illustrer une publicité pour Coca-Cola, entre autres ! En novembre, le Nordiste expose ses toiles à Mouvaux, lors de la deuxième édition du Smarts (le Salon mouvallois des arts), avant de s’envoler pour Miami. Quelle est son histoire ? Comment travaille-t-il ? De quelle manière vit-il son fulgurant succès ? Rencontre dans son atelier roubaisien.

Quel est votre parcours ? J’ai grandi à Dunkerque. Enfant je dessinais beaucoup, puis j’ai eu ma période “ado et graffiti”, comme un peu tout le monde. Je souhaitais entrer dans une école de BD, encouragé par ma prof d’arts plastiques. Mais mon père m’a dit qu’il me fallait un vrai boulot. J’ai donc suivi des études de logistique, été chauffeur poids lourd, cariste, gestionnaire de projet… …

Comment êtes-vous revenu à votre passion ? En fait, je ne l’ai jamais abandonnée, j’avais toujours mes carnets sur moi. Les rêves sont plus forts que tout. À 27 ans, je me suis donc remis à la peinture.

© Julien Damien

© Julien Damien

D’où vient votre surnom ? D’une punchline d’un morceau de rap, entre Tunisiano et Aketo : “J’vous présente Aket le nez pointu comme une fléchette”. Jeune, j’étais un peu plus frêle disons, et mon nez paraissait plus imposant, donc les potes m’appelaient Aket ! Le choix du pseudo était évident. J’y ai ensuite ajouté “Kubic”.

Quelle fut votre première exposition ? C’était dans un bar, à Marcq-en-Baroeul. Je travaillais encore à ce moment-là, et ça a été un vrai succès. Je postais aussi mon travail sur les réseaux sociaux et quelques temps plus tard j’ai été repéré par la galerie Signature Fine Art de Miami, ça m’a permis de démissionner pour me consacrer à la peinture.

Comment définiriez-vous votre style ? J’essaie simplement d’amener la spontanéité du graff au cubisme. Je dessine tout de suite, au feutre, sans croquis au préalable. Puis au fur et à mesure je travaille la toile pour raconter une histoire.

Comment l’avez-vous développé ? Au début, mes personnages ressemblaient plutôt à des b-boys, un peu cartoonesques, avec de grands nez. Toutes les couleurs se chevauchaient, c’était un peu bordélique ! C’est finalement le noir qui a stabilisé l’ensemble. J’ai commencé à créer des contours, installer des ombres, et puis les formes géométriques sont apparues au fur et à mesure.

Quelle a été la première toile réalisée de cette façon ? La Femme aux crevettes. J’avais donné à l’animal une forme très carrée, puis au visage du personnage qui le tenait. C’était la première fois que j’utilisais autant de formes géométriques, un peu dans le style de Braque, mais en plus coloré.

Portrait de l'homme pensif © Aket Kubic

Portrait de l’homme pensif © Aket Kubic

Étiez-vous attiré par le cubisme ? Pas du tout ! Je n’admirais pas spécialement les oeuvres de Picasso, j’étais plutôt fan de Basquiat, pour l’énergie que dégagent ses toiles. J’ai ensuite découvert George Condo, mêlant Renaissance et cubisme, et puis Fernando Botero, dont j’aime les couleurs chaleureuses. En général ma palette est assez froide, j’utilise beaucoup de nuances de bleu, de gris. Mes dernières créations laissent toutefois plus de place au rouge, au jaune.

Qu’est-ce qui vous intéresse dans le cubisme ? La profondeur, cette perspective en 3D appliquée à des sujets simples, mais avec des formes complexes, où les couleurs s’entremêlent.

Techniquement, comment composez-vous vos oeuvres ? Je commence par le visage et puis je construis autour. C’est un peu comme de la sculpture. Je pose la matière puis je lui donne de l’épaisseur. Au début les formes géométriques sont assez rudimentaires, ensuite je les étoffe. Je peins à l’acrylique et à la bombe, parfois à l’aérographe pour donner de la texture à la peinture, qu’elle ressemble à de la pierre. J’y reviens avec du bleu et du blanc, des nuances de gris pour complexifier la toile au maximum.

Vous peignez en atelier mais aussi dans la rue. Quelle approche préférez-vous ? Ce n’est pas la même technique, ni la même intention. En plein air, le mur en lui-même ne m’intéresse pas tant que ça, c’est surtout cette notion de partage avec les gens que j’aime. Le travail en atelier est plus solitaire…

Plus généralement, où trouvez-vous l’inspiration ? Je peins beaucoup de portraits. En ce moment je reprends aussi des scènes de vie, comme cet homme en train de manger un bol de nouilles, dans une rue au Japon. Je raconte une histoire, un peu comme une illustration, et j’aime laisser de la place à l’imagination du spectateur.

À l'aube, elle s'établit © Aket Kubic

À l’aube, elle s’établit © Aket Kubic

Que cherchez-vous à véhiculer à travers votre art ? Chacune de mes oeuvres est accompagnée d’un texte explicatif, d’une petite poésie que j’écris moi-même. Mais l’idée principale est de croire en ses rêves et de rester sincère. J’ai par exemple réalisé un portrait de samouraï. On voit de la persévérance dans ses yeux. On peut imaginer qu’il se regarde aussi dans la lame de son katana, qu’il se combat lui-même. La lumière du tableau vient d’ailleurs de son arme.

Votre parcours est aussi marqué par un événement : votre collaboration avec Coca-Cola, pour la publicité Masterpiece Oui, d’ailleurs c’est drôle parce que l’agence de communication qui travaille pour la marque m’a contacté à un moment où j’avais moins de projets. J’avais même repris un petit boulot. Je signais à peine mon CDD lorsqu’ils m’ont appelé. On a bossé durant plusieurs mois pour ce projet. Je dessinais, mais jamais rien ne fonctionnait ! Puis ils ont repéré un personnage datant de 2021 dans mon book, La Dame au chapeau. Je l’ai retravaillée un peu, viré la clope qu’elle avait au bec, et voilà ! Je l’ai aussi rebaptisée Divine idylle, en référence à une chanson de Vanessa Paradis.

La publicité n’est pas non plus anodine, donnant vie à plusieurs chefs-d’œuvre de la peinture comme La Jeune Fille à la perle de Vermeer, Le Cri de Munch… Oui, toutes ces œuvres ont été revisitées par de jeunes artistes. J’y ai vu comme une sorte de passage de témoin, et un message : il faut faire confiance à la nouvelle génération, aller de l’avant sans oublier le passé.

Cette publicité vous a-t-elle ouverte des portes ? Elle m’a offert beaucoup de visibilité, mais ce n’est pas fini. Elle est diffusée aux États-Unis et continue de tourner un peu partout dans le monde, et bientôt en Europe.

Que présentez-vous lors de cette exposition à Mouvaux ? Une trentaine de toiles évoquant le Japon, où j’ai effectué un voyage en amont de cette exposition. J’aime la culture de ce pays, qui est tellement éloignée de la nôtre. On se croirait sur une autre planète. J’en livre ici ma vision personnelle, en mêlant tradition et modernité. Ici un combat de sumos, là un portrait de mangeur de nouilles… Il y aura aussi quelques clins d’œil à Hokusai, à sa vague bien sûr, et puis quelques fantômes. La scénographie est aussi très particulière, car pour l’occasion on a reconstitué une rue du vieux Kyoto.

Pourquoi ce titre, Du ciment à la belle étoile ? Il est inspiré d’une chanson de la rappeuse Keny Arkana. Elle porte un message qui m’est cher : il faut croire en ses rêves. C’est mon histoire que je raconte ici.

Après le Nord, vous exposez à Miami, n’est-ce pas ? Oui, dans le cadre du salon d’art international Context Art. Il y aura une partie japonaise et une autre plus hollywoodienne. J’ai aussi prévu deux autres expositions l’année prochaine, dont une dans la métropole lilloise, mais je ne peux pas en dire plus pour le moment…

Propos recueillis par Julien Damien / Photo : Portrait de l'homme pensif © Aket Kubic
Informations
Mouvaux, L'étoile scène de Mouvaux
10.11.2023>19.11.2023mar > ven : 14h-18h • sam & dim : 10h-12h & 14h-18h, Gratuit

À visiter / aketkubic.com
Sur Instagram / @aketkubic

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