Mohamed Bourouissa
Au-delà des clichés
Né en 1978 à Blida en Algérie, arrivé durant son enfance en région parisienne, où il vit et travaille toujours, Mohamed Bourouissa fait partie des artistes les plus talentueux de sa génération. Après des débuts dans le graffiti, un passage par les Arts déco de Paris puis au Fresnoy de Tourcoing (entre autres) il s’est révélé avec la série photographique Périphérique, au début des années 2000, dans laquelle il revisitait le quotidien de jeunes des quartiers en France à travers des mises en scène rappelant des chefs-d’œuvre de la peinture classique. Exposé dans le monde entier, son travail ausculte avec acuité la société contemporaine à travers ses marges, évoque des thèmes récurrents comme le contrôle, la surveillance, le rapport à l’autorité, mais toujours avec beaucoup de nuances. Caractérisée par une multiplicité de pratiques, entre la vidéo, la photo, la sculpture, la musique ou le dessin, son œuvre est mise à l’honneur au LaM de Villeneuve d’Ascq via une exposition intitulée Attracteur étrange, avant une grande rétrospective au Palais de Tokyo, début 2024. Rencontre.
Cette exposition s’ouvre avec vos dessins, une pratique moins connue mais fondamentale chez vous, n’est-ce pas ? Oui, pour moi tout a commencé par là. Je n’ai pas baigné dans un milieu artistique et le dessin a été un forme de conversation avec les autres, un moyen de m’exprimer, plus que l’écriture en tout cas car je suis arrivé tard en France, et plus jeune j’ai rencontré des problèmes de dyslexie.
Que dessiniez-vous alors ? Des personnages issus de Dragon Ball Z ou d’Ulysse 31, des dessins animés qui passaient à la télévision. Et surtout beaucoup de comics américains, comme Magnéto ou Wolverine, j’étais fasciné par ses griffes ! La culture populaire fut ma porte d’entrée dans l’art.
Puis vous vous êtes révélé grâce à la photographie. Comment vous êtes-vous intéressé à ce médium ? J’ai d’abord préparé un brevet de technicien dessinateur-maquettiste, plus attiré par le côté “dessinateur” que “maquettiste” d’ailleurs… Je graffais aussi sous le nom de Meko, au sein du collectif EP4. Puis je suis rentré à l’université (ndlr : à Paris 1 Panthéon-Sorbonne) où j’ai appris l’histoire de l’art. Dans le même temps j’ai découvert le travail de Jamel Shabazz, qui photographiait les gens issus de la communauté noire américaine et l’émergence de la culture hip-hop, dans le New York des années 1970 et 1980. Son livre, Back in the Days, a été une bible pour moi. Et je me suis rendu compte qu’on ne voyait pas ce genre d’images ici, en France. C’est-à-dire de moi, de mes potes. J’ai alors décidé de les représenter aussi. J’ai acheté un Pentax d’occasion, puis passé plusieurs mois dans le quartier de Châtelet Les Halles et ça a donné Nous sommes Halles.
Puis est venue la série Périphérique… Oui, c’est le projet qui m’a fait connaître, dans la continuité de Nous sommes Halles. Cette fois je me suis intéressé aux jeunes de banlieue, présentés dans des mises en scènes évoquant des classiques de la peinture, comme des tableaux photographiques.
Vous multipliez les pratiques, entre le dessin, la vidéo, la photographie, la sculpture, le théâtre… Pourquoi ? Parce que je suis curieux ! Pour moi l’art est un terrain de jeu, une recherche constante. Je suis un éternel étudiant, j’apprends tous les jours. Mes sujets sont souvent les mêmes mais j’essaie de les aborder par d’autres prismes. J’ai aussi un défaut, qui est parfois une qualité : je suis très influençable. J’absorbe les choses, comme une éponge, et ça me permet de me remettre en cause perpétuellement.
On dit souvent que vous vous intéressez aux “marges” de la société. Êtes-vous d’accord avec ça ? Ce qu’on appelle “les marges” n’en sont pas vraiment pour moi. Je parlerais plutôt “d’écosystèmes parallèles”, qui se croisent parfois, ou pas. Dans mon travail, j’essaie de créer de connexions, des ponts entre des mondes apparemment éloignés.
Mohamed Bourouissa: Horse Day from Liverpool Biennial on Vimeo.
Dans l’installation Seum, dévoilée au LaM, vous mettez en scène un contrôle policier, menant à une forme une palpation poussée, et donc à la dépossession de son propre corps… Y a-t-il aussi une dimension politique dans votre travail ? Oui, bien sûr. C’est la partie visible. Des forces s’exercent sur les minorités, mais c’est lié à la structure même de nos sociétés. Quand j’étais plus jeune, en 1995 la France a été frappée par les attentats de Khaled Kelkal, et à ce moment-là je subissais trois contrôles par jour, alors que j’étais encore adolescent… Ces sujets infusent forcément mon travail. Pour tout dire, cette sculpture représentant une main qui saisit un entrejambe masculin et que l’on voit dans cette installation, c’est du vécu. J’ai subi cette fouille de la part d’un policier, il y a un an, à Gennevilliers où j’habite. Cet épisode m’a en partie donné envie de réaliser cette œuvre qui évoque le rapport de force, la domination masculine.
Dans cette oeuvre vous évoquez aussi la liberté de l’esprit, qui tente de s’enfuir de cette violence extérieure. S’agit-il d’une forme de résilience ? À un moment j’évoquais beaucoup ce terme, mais j’en suis revenu car il est problématique. Certes il sous-entend un dépassement, mais aussi une forme d’acceptation de la situation. Il faudrait inventer un nouveau mot, qui traduirait en même temps la résistance et l’émancipation, la transformation…
Pour l’affiche de cette exposition au LaM, vous vous mettez en scène avec une mygale vous grimpant sur le cou. Pourquoi ? C’était un moment très impressionnant et j’ai senti une connexion quasiment mystique, spirituelle avec cet être élégant et pourtant très fragile. Nous ressentons une peur ancestrale face à cet animal, intégrée dans notre inconscient, et j’essaie justement de déconstruire ce qui est ancré en nous…
Site internet : http://www.musee-lam.fr/
Collections permanentes accessibles du mardi au dimanche de 10 h à 18 h.
Exposition temporaire et collections permanentes : 10 / 7 €
Collections permanentes : 7 / 5 €