Home Exposition Mohamed Bourouissa

Vision périphérique

Mohamed Bourouissa devant les dessins
de la série Island © Julien Damien

C’est un créateur parmi les plus doués de sa génération. Mohamed Bourouissa est mis à l’honneur au LaM de Villeneuve d’Ascq, avant une grande rétrospective au Palais de Tokyo, début 2024. Intitulée Attracteur étrange, en référence à une formule mathématique modélisant la théorie du chaos, cette exposition témoigne des obsessions du Franco-Algérien, qui explore les failles de la société à travers ses marges. Le parcours met aussi l’accent sur une multiplicité de pratiques, entre la vidéo, la photographie, la sculpture, la musique, le dessin… En somme, une bonne définition de “l’artiste total”.

Peut-on se situer à la fois en périphérie et au centre des choses ? C’est toute la question soulevée par cette exposition et, plus généralement, le travail de Mohamed Bourouissa. Depuis le début du millénaire, ce plasticien observe avec acuité la société contemporaine par le prisme des “invisibles”. Ou plutôt des « écosystèmes parallèles », dit-il, et qu’il ne cesse d’imbriquer les uns dans les autres, pour mieux déconstruire les clichés. C’est par exemple la série photographique Périphérique, initiée durant les émeutes de 2005 en France, où il revisite le quotidien de jeunes des quartiers à travers des mises en scène rappelant des chefs-d’œuvre de la peinture classique (signés Delacroix, Géricault ou le Caravage). Comme pour les associer à la “grande histoire”. Citons aussi le film Horse Day, focalisant sur les cavaliers afro-américains de Philadelphie (et bousculant la mythologie du cowboy blanc) ou encore Temps mort, présentée au LaM. Réalisée en 2009 lorsqu’il était étudiant au Fresnoy, et baptisée en référence au premier album solo de Booba (duquel il réalisera aussi le clip de Fœtus), cette vidéo dévoile le quotidien d’un détenu, auquel l’artiste a confié un téléphone portable, lui permettant de “s’évader” de sa cellule durant quelques instants.

Images volées

« L’oeuvre de Mohamed est profondément sociale », observe Marie-Amélie Senot, responsable du fonds d’art contemporain au musée de Villeneuve d’Ascq. Elle est aussi collaborative, l’intéressé voyant sa pratique comme « un moyen de créer des connexions ». Entre les gens bien sûr, mais aussi des sujets récurrents : il est ici question de contrôle, de rapports de force, de l’autorité… En témoigne le projet Shoplifters, dont le point départ est la découverte de clichés de voleurs à l’étalage, exhibés dans un supermarché de Brooklyn. « Le patron du magasin les photographiait avec dans les mains l’objet qu’ils essayaient de dérober ». Mohamed Bourouissa a soigneusement « shooté » puis restauré ces polaroids détériorés. Disposées sur des grilles, ces images agrandies révèlent des personnes démunies, prises “la main dans le sac”, parfois dépitées mais souvent souriantes. « C’est une forme de défiance, de résistance. J’y vois aussi une généalogie de la surveillance, dont le paroxysme serait l’utilisation des caméras de reconnaissance faciale ».

Vue de l'installation Seum, 2023, Mohamed Bourouissa © Nicolas Dewitte

Vue de l’installation Seum, 2023, Mohamed Bourouissa © Nicolas Dewitte

You’re Under Arrest

Lors de cette exposition, on admire aussi l’installation Seum, qui atteste de l’éclectisme du natif de Blida. Celle-ci raconte l’histoire d’un contrôle policier musclé – qu’il a lui-même subi, chez lui à Gennevilliers, voici un an. Sur les murs sont accrochées des sculptures en aluminium, figurant ici un visage écrasé contre une paroi, là une jambe bloquée ou une main saisissant un entre-jambe masculin. Au milieu de la pièce sont suspendues des aquarelles abstraites, tandis que résonne une musique aux accents doux, méditatifs, qu’il a composée. « Lors d’une fouille, on ne s’appartient plus, on devient un objet, comme vidé de sa propre substance, commente l’artiste. Les dessins placés au centre illustrent cette envie de rentrer en soi-même pour s’échapper de l’extérieur, ce sont des pensées refuges ». Une œuvre puissante, politique et qui nous embarque… sans résistance.

Vue de l'installation Seum, 2023, Mohamed Bourouissa © Nicolas Dewitte

Vue de l’installation Seum, 2023, Mohamed Bourouissa © Nicolas Dewitte

A LIRE ICI / L’INTERVIEW DE L’ARTISTE

Mohamed Bourouissa (c) Studio Bourouissa

Mohamed Bourouissa (c) Studio Bourouissa

Julien Damien / Photo : Mohamed Bourouissa devant les dessins de la série Island © Julien Damien
Informations
Villeneuve d'Ascq, LaM

Site internet : http://www.musee-lam.fr/

Collections permanentes accessibles du mardi au dimanche de 10 h à 18 h.
Exposition temporaire et collections permanentes : 10 / 7 €
Collections permanentes : 7 / 5 €

29.09.2023>21.01.2024mer > dim : 10h-18h, 11/8€ (gratuit - 18 ans)
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