Jef Aérosol
Préparez vos pochoirs
Ses pochoirs ont fait le tour du monde, l’imposant comme une figure internationale du genre. Pionnier en France de ce qu’on n’appelait pas encore le “street art”, Jean-François Perroy, aka Jef Aérosol, inaugure une grande rétrospective au musée de l’Hospice Comtesse, à Lille, sa ville d’adoption. Jef Aérosol Stories réunit ici des icônes de la pop culture mais aussi une foule d’anonymes avec un réalisme mâtiné de poésie. L’occasion de (re)découvrir sa première oeuvre réalisée il y a plus de 40 ans et ses dernières créations, toujours signées d’une fameuse flèche rouge…
Comment avez-vous découvert le pochoir ? En réalité, c’est vieux comme le monde ! Cette technique était déjà utilisée dans les cavernes par les hommes préhistoriques : ils posaient leurs mains à plat sur la paroi pour y projeter des pigments. De mon côté, je l’ai découverte avec la vague punk des années 1970, via des groupes anglais comme les Crass, qui bombaient leur logo dans les rues de Londres, et bien sûr les Clash qui peignaient leurs fringues de cette façon. Ce côté “vite fait, bien fait” m’a tapé dans l’oeil. Et puis il y a eu un concert en 1981, au Théâtre Mogador à Paris, des Clash toujours. En fond de scène Futura 2000 peignait une toile avec des bombes aérosol. Je n’avais jamais vu ça !
À quoi ressemble votre toute première création ? C’est un autoportrait grimaçant, punk, tiré d’un photomaton que j’ai agrandi sur le carton d’une boîte à chaussures. Gamin, je collectionnais ce type de clichés, bien avant Amélie Poulain ! Je m’amusais beaucoup avec ce support : il y avait toujours quatre photos et sur la dernière, je tirais langue.
Quel était le contexte de vos débuts ? Dans les années 1970 et 80, on voulait s’affranchir des codes classiques et des lieux sacralisés que sont les musées, les galeries. Notamment à cause de cette tendance à l’abstraction et à l’art conceptuel qui a éloigné le grand public. L’art de la rue, comme la figuration libre, ont brisé ces règles. C’était l’esprit punk, d’urgence et de liberté, et je me suis senti appartenir à cette mouvance. Comme pour la musique, on se débrouillait avec ce qu’on avait, façon “do it yourself”.
À cette époque vous étiez prof d’anglais, n’est-ce pas ? Stagiaire, plus précisément, à Tours. Je suis né à Nantes et durant ma jeunesse j’ai effectué fait pas mal de voyages linguistiques en Angleterre. Cette culture me passionnait, la musique notamment. Donc après le bac j’ai étudié dans une fac d’anglais puis passé le Capes. Ensuite j’ai été nommé dans le Nord où je suis resté, notamment au Lycée Pasteur à Lille. J’ai démissionné en 2008 pour me consacrer à mon métier de peintre. J’ai changé de vie !
Votre carrière a sacrément décollé depuis… C’est surtout à partir des années 2000, grâce à l’arrivée de Banksy et d’Obey. D’un seul coup le pochoir, étouffé par le graff et le tag, est revenu à la mode. Les anciens des années 1980, comme moi, Blek le Rat, Miss.Tic ou Speedy Graphito ont alors fait figure de pionniers. Les galeries nous on appelés, j’ai monté pas mal d’expos, voyagé en Chine, au Japon, aux États-Unis…
Comment votre art a-t-il évolué ? J’ai d’abord développé une approche très simpliste, puis les outils se sont développés, grâce à l’avènement de l’ordinateur, et mes œuvres sont devenues plus sophistiquées, réalistes, mais j’espère avoir conservé l’esprit initial de mon art. Avec l’âge, mes aspirations sont moins directement “rebelles”. Au début, je n’aurais jamais eu l’idée de peindre des gamins comme aujourd’hui. Mais en vieillissant je ne retrouvais plus chez les gens de mon âge l’énergie, la liberté et l’innocence que j’avais moi-même au début.
Qu’en est-il de votre palette ? J’ai commencé en noir et rouge. Les années passant, la tentation de la couleur était très forte et j’ai succombé, en utilisant même du fluo ! Quand j’ai remis le pied à l’étrier au début des années 2000, je me suis consacré au noir et blanc, sauf pour les fonds. C’est aussi à ce moment là que j’ai développé des personnages grandeur nature, des portraits en pied, dans la rue.
Vous représentez des personnalités mais aussi beaucoup d’anonymes. S’agit-il de replacer l’humain dans la ville ? C’est une question que je me suis posée inconsciemment. Pourquoi est-ce que je peins tout le temps des regards ? Des visages ? Il y a quelques objets, des animaux, des paysages mais qui viennent en adjuvants. J’ai donc une sorte d’obsession pour les gens, probablement une interrogation sur ce que nous sommes.
Comment la traduisez-vous ? Ça passe par l’œil, l’organe le plus expressif. Le regard m’a toujours épaté. Il n’y en a jamais deux identiques ! Plus largement, peindre des gens dans la rue, c’est ajouter quelques quidams à la foule. Les réaliser en noir et blanc, c’est marquer la différence avec le trompe-l’œil, souligner le fait que c’est une peinture. Les représenter immobiles, c’est créer un arrêt sur image nous permettant de les observer – ou leur permettant de nous observer. Les dessiner à l’échelle 1, c’est les fondre dans le flux des gens de la rue, ne pas les mettre sur un piédestal et les montrant plus grands que nous, comme les sculptures. Je défends aussi la diversité des couleurs de peau, des corps, des âges, des milieux sociaux. Le fait de les présenter tous de la même manière les ramène à leur humanité. C’est ma façon poétique de lutter contre l’exclusion, les discriminations.
Lorsque vous avez commencé à peindre dans la rue, étiez-vous aussi, comme d’autres, motivé par le goût du risque ? Au début oui, bien sûr ! Je citerais le journaliste John Paul Lepers, Nantais comme moi : c’était “le délice du délit”. Ayant été punk, j’ai été sensible à l’esthétique du chaos urbain, ces images de terrains vagues, de trains bombés… mais aujourd’hui plus du tout. J’ai même du mal avec ça, car j’ai trop de goût pour les vieilles pierres, les gens, pour le bien commun, le mobilier urbain… même si je ne suis pas fervent défenseur de Mr Decaux ! Et puis je suis plus proche aujourd’hui des 70 que des 20 balais !
Par ailleurs, vous n’avais jamais dissimulé votre identité… Non, j’ai toujours affiché mon visage et mon vrai nom car je n’ai jamais eu le sentiment de faire quelques chose de mal. Peindre la ville, ça l’embellit et c’est une affaire de partage. J’ai toujours travaillé sur des palissades ou des murs lépreux. D’ailleurs je n’ai pas subi de garde à vue ni de procès, parce qu’il n’y a jamais eu de plainte.
Quelle est la genèse de cette rétrospective ? J’ai fêté mes 40 ans de pochoir l’an passé à Paris avec une grosse exposition. Mais c’était aussi important pour moi de rendre hommage à la ville qui m’a accueilli en 1984, et où je suis resté vivre. Martine Aubry, qui m’avait sollicité pour réaliser une fresque à Wazemmes, a donc provoqué cette rétrospective.
L’endroit où vous exposez n’est pas non plus anodin… La question du lieu s’est posée, entre le Palais des beaux-arts et ici. Et j’ai choisi le musée de l’Hospice Comtesse pour ce rapport au temps. Je trouve très intéressant que se télescopent dans un lieu séculaire des œuvres anciennes, témoins de l’histoire de Lille, et l’art urbain. Dans la Chapelle par exemple, il y aura une installation, une “jungle urbaine” peuplée de personnages grandeur nature, de stars de la pop comme d’anonymes, accompagnée d’une bande son très punk.
Comment concevez-vous cette rétrospective ? Comme un album de souvenirs. Je présente des créations datant de ma petite enfance à aujourd’hui. Une vie, c’est ça : des photos, ce qu’on accumule dans nos cartons. Et moi je garde tout, je suis très conservateur ! Il n’y aura donc pas que des oeuvres murales mais aussi des vitrines contenant des fanzines, des flyers, mes veilles bombes, des fringues, des instruments de musique… et puis des petites installations comme la reconstitution d’un atelier avec mes outils, des œuvres en cours de réalisation, de vieux calques. Quelques objets aussi datant des trois premières Braderies de l’art auxquelles j’ai participé.
Découvrira-t-on des oeuvres originales ? Oui, sur une grande palissade de dix mètres sur deux installée dans la cour. La fresque sera trouée de passe-têtes découpés à la scie sauteuse, offrant un côté “fête foraine”. Les gens pourront incarner mes personnages. Trois oeuvres ont également été recréées pour l’exposition, dont le fameux Chuuuttt !!!, fresque conçue à Paris. Il y aura aussi une impression sur plexiglas, présentée comme une sorte de sandwich, pour que les gens comprennent comment plusieurs pochoirs successifs s’associent pour former une image. Je souhaite que tout le monde s’approprie cette technique, justement pour désacraliser l’art. Libre à chacun d’essayer !
Site internet : http://mhc.lille.fr
Ouvert le lundi de 14h00 à 18h00
Du mercredi au dimanche de 10h00 à 12h30 et de 14h00 à 18h00.
Fermé le lundi matin, le mardi toute la journée ainsi que certains jours fériés
Tarif :
Droit d’entrée individuel : 3,60 € / 2,60 €
Gratuité : - de 12 ans, et chaque 1er dimanche du mois (collections permanentes)