JonOne
Force d'abstraction
C’est un pionnier du graffiti, un morceau d’histoire de l’art à lui seul. Né en 1963 de parents dominicains, JonOne, de son vrai nom John Andrew Perello, a grandi à New York dans le quartier de Harlem. Il a 17 ans lorsqu’il fait ses classes en taguant son blase la nuit un peu partout sur les murs, les rames du métro… Installé en France depuis la fin des années 1980, ce peintre aujourd’hui reconnu dans le monde entier s’est imposé avec un style unique, fusionnant street art et expressionnisme abstrait. À la Piscine de Roubaix, à quelques pas de son atelier, il dévoile La Tentation du décor, réunissant ses toiles, dessins ou tags, tandis que le Musée du Touquet-Paris-Plage lui consacre une exposition intitulée The World of Tomorrow. Entretien avec un artiste en mouvement perpétuel.
À quoi ressemblent vos débuts ? J’ai grandi dans le quartier de Harlem à New York, pile à l’endroit où le tag et le graffiti sont nés. Ça m’a tout de suite attiré, parce qu’ils évoquaient mon quotidien. J’étais fasciné par ce côté “rebelle”, le fait de marquer son territoire et une certaine imagerie : l’illégalité, les gangs… Ma mère me disait : “ne fais pas comme ces voyous”. Bien sûr, je ne l’ai pas écoutée ! Vous savez, je viens d’un quartier très pauvre. On n’avait pas d’argent, pas de futur, c’était l’angoisse. Tout était gris, sans espoir… Il fallait que je colore ma vie. C’est comme ça que j’ai effectué mes premiers pas dans le monde de l’art, sans le savoir. Mon quartier est alors devenu une école de peinture. Vu de l’extérieur, c’était du vandalisme mais c’était notre langage. On causait couleurs, formes, techniques… comme dans une galerie d’art.
Il paraît que vous avez aussi commencé par amour… C’est vrai ! La vie d’artiste, c’est souvent ça : des hasards et du chagrin. On ne choisit pas de mener une carrière de peintre. Donc oui, il y avait une fille dans mon quartier qui s’appelait Rosanna. C’était la plus belle, avec de jolis yeux verts. Pour capter son attention j’écrivais sur les murs “John loves Rosanna” avec un petit coeur au milieu. Je l’ai séduite comme ça ! Elle était d’origine dominicaine, comme moi. J’imaginais ma vie avec elle, me marier, avoir un boulot normal. Mais quelques mois plus tard elle m’a trompé avec mon meilleur ami… On me voyait comme une racaille à cette époque. Je ne correspondais sans doute pas à son idéal. Elle est devenue policière plus tard. Bref, je n’avais plus de copine, j’étais seul.
Que s’est-il passé ensuite ? Il me fallait laver mon honneur, flatter mon orgueil ! J’ai donc changé ma signature, commencé à écrire “JonOne” pour me prouver que j’étais le numéro 1. C’était un peu comme si j’avais deux personnalités : le jour j’étais John Perello, le loser qui s’était fait larguer. Mais la nuit j’étais JonOne, un super-héros qui n’avait peur de rien, rentrait dans les tunnels et peignait son nom partout. Tout le monde connaissait mon style !
Pourquoi êtes-vous passé du mur à la toile ? Par crainte de voir mes créations disparaître. Dans la rue, on peignait sur mes oeuvres ! D’accord, ça fait partie du jeu, mais ça m’a toujours dérangé : si mon travail est bon, pourquoi l’effacer ? Il fallait que je laisse une trace, ne serait-ce que pour le montrer à la génération suivante, exactement comme pour la peinture classique. De toute façon, je n’avais pas le choix, je ne savais rien faire d’autre. C’était la seule manière de survivre… marche ou crève ! En tout cas, l’argent n’a jamais été une motivation. Je n’ai jamais rêvé de belles voitures ou de baskets à la mode. Aujourd’hui encore, je m’habille de la même façon ! Par contre, je prends toujours autant plaisir à réaliser une belle toile. C’est comme gravir l’Everest. Cette quête perpétuelle doit se sentir devant mon travail.
N’est-il pas paradoxal d’exposer du street art dans un musée ? A mes débuts j’ai souvent été critiqué par rapport à cette démarche : pour être graffeur il faudrait uniquement peindre dans la rue… Mais je m’en fous. Mon travail est toujours en évolution.
Pourquoi vous êtes-vous installé en France ? Pour vivre de votre passion dans un pays qui aime l’art ? Non, je suis encore tombé amoureux ! J’ai suivi une fille et puis je suis resté. Il y avait aussi une importante scène street art à Paris à cette époque. Je me suis retrouvé dans un milieu foisonnant, avec des musiciens, des acteurs… Un vrai partage entre artistes, qui correspondait exactement à ma vision du monde. J’ai donc monté mes premières expositions ici. Il est vrai aussi que les Français comprennent l’art, parce qu’ils ont une grande histoire dans ce domaine.
Qu’est-ce qui caractérise votre style ? L’énergie, la couleur, le mouvement et l’abstraction… La peinture abstraite m’invite à diversifier mon travail. Claude Bartolone, l’ancien président de l’Assemblée nationale dit de mon œuvre qu’elle lui donne la pêche !
Quelles seraient vos influences ? Les artistes abstraits : De Kooning, Pollock, Motherwell… Je suis américain donc sensible à cette école, même si je suis autodidacte. Quand je peins, j’écoute aussi beaucoup de musique : électronique, du rap, du R’n’B, de la variété française… Je suis également inspiré par la danse, les gens créatifs dans tous les domaines. Cela dit, mon inspiration principale, c’est la vie elle-même. Mon travail est un peu comme un journal intime.
Qu’est-ce qui vous plaît à Roubaix ? Pourquoi avez-vous situé votre atelier ici ? Les gens sont souvent étonnés par ce choix, car ils ont des a priori négatifs… J’habite à Paris avec mes enfants, et je cherchais un lieu en dehors où je me sentirais bien. Alors, j’ai parcouru un peu la France : Marseille, Toulon, Toulouse, Nice… mais la lumière du Sud ne me plaisait pas, contrairement à celle du Nord, qui révèle des couleurs uniques. Le ciel est d’un bleu sans pareil. J’ai découvert Roubaix grâce à Mikostic (ndlr : graffeur roubaisien, son assistant et ami). Les espaces y sont dingues ! Quelque part, ça me rappelle Harlem. J’ai tout de suite été séduit par la ville, son histoire et surtout le sens de l’accueil de ses habitants. Cette sensibilité et cette humanité, je ne les trouvais pas ailleurs. J’ai fait le meilleur choix de ma vie en m’installant ici.
À la Piscine, vous dévoilez des toiles, des dessins… Sur quelles oeuvres voudriez-vous attirer l’attention ? Je suis très heureux d’exposer mes tags dans un musée. Car ce mode d’expression est généralement dénigré, considéré comme du vandalisme. Pourtant, c’est la base du street art ! Dehors, ils sont illégaux. Ici, ils deviennent des oeuvres. Pour moi c’est de la calligraphie, une vraie signature.
On découvre aussi des vases et votre collaboration avec les faïences de Gien… Oui, j’aime les challenges. Si l’on dit que je suis talentueux, je dois le prouver ! Mon style abstrait s’adapte bien à différents supports.
Oui, d’ailleurs vous avez aussi peint le drapeau français sur un avion, en 2015… En effet, pour la compagnie Air France. J’ai ainsi soutenu la devise du pays dans le monde entier : liberté, égalité, fraternité. La fresque a été inaugurée au moment des attentats du 13 novembre, un hasard du calendrier. Cette œuvre a donc pris un autre sens. Vous savez, parfois je me demande à quoi sert mon travail. Eh bien avant tout à réunir les gens. Ce n’est pas pour rien En visitant cette exposition, j’aimerais que le public entrevoit un monde meilleur, plus uni. Et ce n’est pas non plus un hasard si j’ai nommé celle du Touquet The World of Tomorrow.
+ The World of Tomorrow
Le Touquet, jusqu’au 05.11, Musée du Touquet-Paris-Plage, tlj sauf mar : 10h-12h30 & 14h-18h30, 4/2,50€ (grat. -26 ans), letouquet-musee.com