Man Ray et la mode
Le précurseur
Après Marseille et Paris, Man Ray et la mode fait escale à Anvers, et c’est évidemment le MoMu qui se penche sur ce pan méconnu de la carrière du photographe américain. Repensée spécialement pour la Belgique, l’exposition entrelace vêtements de couturiers, oeuvres dada et couvertures de magazines pour raconter l’invention de la photo de mode – rien que ça !
De Man Ray, on connaît généralement les penchants surréalistes, l’amitié avec Marcel Duchamp et le célèbre Violon d’Ingres, ce cliché de Kiki de Montparnasse nue, deux ouïes de violon dessinées dans le dos. Par contre, on oublie souvent les shootings pour Chanel, Vogue ou Vanity Fair… Pourtant, ces accointances avec la mode ne sortent pas de nulle part, comme le raconte la commissaire Romy Cockx. « Man Ray avait un père tailleur et une mère couturière Il est évident que grandir au milieu des patrons et des chutes de tissu a formé son oeil ». Celui d’Emmanuel Radnitsky (de son vrai nom), qui débarque à Paris au début des années 1920, est plus attiré par les mannequins que par leurs robes. Mais la branche américaine du mouvement dada a fait long feu, la peinture ne paye pas, alors le natif de Philadelphie commence à immortaliser les mondains, puis les créations des couturiers Paul Poiret ou Elsa Schiaparelli.
Un regard d’artiste
Avant lui, « la représentation des vêtements se résumait à des illustrations sur du papier de mauvaise qualité. Man Ray a quasiment inventé la photo de mode, grâce à des procédés innovants », ajoute Romy Cockx. À Anvers, ces portraits de commande, dont 80 ont été prêtés par le centre Pompidou, constituent l’essentiel des 300 oeuvres exposées. Et que ce soit dans les silhouettes en surimpression, l’utilisation de la solarisation ou ces compositions étranges qui isolent certaines parties du corps pour Harper’s Bazaar, l’artiste prend le pas sur l’exécutant. En 1926, il shoote telle une muse l’autrice Nancy Cunard et ses avant-bras lourds de bracelets. Un cliché dont s’inspirera d’ailleurs Dries Van Noten pour créer un ensemble tunique, gilet en fourrure et imposant collier, présenté ici en reflet.
L’héritage belge
Puisque nous sommes dans un temple de la mode, les vêtements sont les autres stars du parcours au MoMu. Ceux qui ont été photographiés, et que l’on peut découvrir “en vrai” dans une scénographie tout en ombres et lumières (signée Madeleine Vionnet et Augusta Bernard). Mais surtout ceux qui empruntent au travail de Man Ray. Au milieu de quelques meubles et sculptures issus du courant dada, comme Le Cadeau (1921), un fer à repasser hérissé de quatorze punaises, les stylistes belges, nourris de surréalisme, revendiquent plus que jamais cet héritage. Outre Dries Van Noten, citons ainsi ce blazer décoré de longues mèches blondes par Olivier Theyskens, calqué sur La Chevelure (1927). Ou encore l’avantgardiste Martin Margiela, assumant la référence à l’Américain dès son premier défilé, et qui a toujours tendu des ponts entre l’art et la mode, comme son illustre aîné.