Benjamin Attahir
À la croisée des chemins
Après le Barcelonais Hèctor Parra, l’Orchestre national de Lille accueille pour deux ans un nouveau compositeur en résidence : Benjamin Attahir. Né à Toulouse en 1989, ce violoniste et chef d’orchestre puise son inspiration entre l’Orient et l’Occident, et n’aime rien tant qu’établir des ponts entre le passé et le présent, comme on pourra le découvrir à travers des créations très attendues. Rencontre.
Comment est née votre passion pour la musique ? C’est ma mère, elle-même peintre, qui m’a poussé vers cette voie car elle n’a pas eu la chance d’en pratiquer. J’ai commencé le violon dès 7 ans. Finalement, le vrai déclic s’est produit vers mes 13 ans, en chantant au sein d’un chœur de jeunes, la Maîtrise du Capitole de Toulouse. Ce fut mon premier contact avec les grands répertoires, chefs d’orchestre, chanteurs et surtout l’opéra et la scène où j’ai vécu des chocs musicaux, notamment avec Eugène Onéguine de Tchaïkovski. C’est à partir de là que je me suis mis à composer.
Quelle est votre spécialité ? Vous créez des ponts entre le présent et le passé, n’est-ce pas ? Oui, c’est un aspect de l’écriture musicale qui me passionne : comment faire dialoguer des objets musicaux prélevés à l’histoire avec un langage contemporain, une façon d’écrire plus moderne.
Par exemple ? La pièce qui va être jouée à Lille, en ouverture du concert Glass versus Reich, se nomme Sawti’l Zaman et signifie Les Voix du passé en arabe. Celle-ci s’appuie en réalité sur une œuvre de Marin Maris, un violoniste du XVIIe siècle. J’ai repris cette pièce de viole baptisée Badinage, qui fut un choc musical très important dans ma vie, découvert en regardant le film Tous les matins du monde. Il me semblait intéressant d’offrir un nouvel éclairage à cette partition, plutôt que d’en livrer un pastiche ou de restituer une esthétique du passé.
Pour lui donner une continuité dans le présent ? Exactement. L’histoire de la musique, de l’art en général, n’est pas faite de cassures, plutôt de langages qui se complexifient ou se solidifient. Nous entretenons toujours un rapport aux générations qui nous ont précédés. Voilà ce qui m’intéresse : révéler cette filiation dans un geste très simple et direct, utiliser des pièces appartenant à notre culture et à notre inconscient collectif.
Qu’allez-vous créer à Lille ? Je suis en train d’écrire un cycle s’articulant autour des cinq prières de l’Islam : celle du matin, du midi, de l’après-midi, du soir et de la nuit. La première pièce écrite pour l’onl sera un concerto pour serpent. C’était un instrument ancien utilisé durant la Renaissance pour soutenir les voix dans les églises qui ne possédaient pas d’orgues. Cette pièce se nomme Adh-dhohr, soit le nom de la deuxième des cinq prières de la journée du rite musulman. Ici, je l’ai couplée avec la Symphonie n°7 Le midi de Haydn : on se situe donc sur le même moment de la journée, mais avec une interprétation musicale complètement différente.
Quel est votre objectif ? Pour construire ce cycle, j’ai emprunté des “objets” musicaux aux trois religions monothéistes, afin de tisser des liens entre elles. Le premier pourrait sembler tirer du grégorien, donc chrétien, mais c’est bien moi qui l’ai écrit. Le second est ce grand appel à la prière en rapport avec l’islam et le troisième est un chant yiddish. La fin d’une pièce sera le début de l’autre. Il s’agira de jouer les cinq lors d’une même soirée.
Voilà un thème très contemporain… Oui, ce projet montre que ces trois cultures en perpétuel conflit sont en réalité extrêmement proches dans la façon, déjà, d’organiser la journée, mais aussi à travers les résonnances qu’elles entretiennent. Cela me touche particulièrement parce que ma famille vient du Liban, une terre portant en elle-même le berceau de ces trois religions.
Voulez-vous délivrer un message de paix ? Il y a de ça, mais pas forcément de message. Il s’agit d’exprimer des enjeux inhérents à ma personne, parce que je suis à la fois français, libanais et marocain, me situant au carrefour de ces cultures comme des millions de gens en France et ailleurs. C’est juste ma vision, ce que je peux apporter musicalement sur ce thème mais sans positionnement idéologique. Il s’agit de montrer que toutes ces différences sont en réalité des points de concordance.
Musiques du monde : Lille, 25.01, Auditorium du Nouveau Siècle, 12h30, 10>5€
La Cinquième de Beethoven : Boulogne-Sur-Mer, 25.01, Théâtre, 20h + Lille, 26.01, Auditorium du Nouveau Siècle, 20h, 42>5€ + Soissons, 27.01, Cité de la Musique et de la Danse, 20h