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Théâtre vérité

C’est un metteur en scène sulfureux, sans doute l’un des plus politiques de sa génération. Du procès de Ceausescu au djihadisme (The Civil Wars) en passant par les génocides africains (L’Histoire de la mitraillette), le dramaturge (et journaliste) suisse s’est fait une spécialité de porter au théâtre les épisodes traumatiques de notre histoire immédiate. Dans Five Easy Pieces, il s’attaque cette fois à l’affaire Dutroux… en la jouant avec des enfants.

Pourquoi “l’affaire Dutroux” vous intéresse-t-elle ? C’était au départ une demande de CAMPO, centre culturel de Gand, qui souhaitait monter une pièce avec des enfants. De mon côté, je travaille depuis une dizaine d’années en Belgique et cette affaire m’est toujours apparu comme un trauma collectif ici, et même au-delà en Europe. Mais Dutroux n’est pas vraiment le sujet…

Quel est-il alors ? Il s’agit plutôt de parler de l’état de la Belgique, de l’Europe de l’Ouest, de notre temps. Je soulève des questions existentielles et contemporaines comme la peur ou le deuil. En abordant de front de grands tabous sociétaux, on peut dénicher une vérité sur nous-mêmes… En fait, l’affaire Dutroux en elle-même est très simple : un type tue quatre jeunes, il y a un dysfonctionnement de la police belge, des problèmes entre Flamands et Wallons, peu de collaboration entre ces deux parties… C’est une histoire collective du plat-pays que l’on raconte ici, mais avec les qualités d’un conte de fées car ce sont les enfants qui la jouent. D’ailleurs, la Belgique n’est pas totalement identifiée dans la pièce, cela pourrait se passer ailleurs, en Suisse ou en Suède.

B-FiveEasyPieces-®PhileDeprez6695Dutroux ne serait donc qu’un alibi pour parler de “l’état d’un pays”. Quel est celui de la Belgique ? Comme beaucoup de pays européens après la Seconde Guerre mondiale ou Mai 68 : elle a un peu perdu de sa puissance. Cela est dû à de multiples raisons. Economiques bien sûr, surtout en Wallonie où les mines ont disparu. Voilà une région qui était très riche et qui est devenue très pauvre, dans laquelle Dutroux va d’ailleurs commettre ses horreurs. On connaît également cela en Angleterre, dans le Nord de la France… c’est l’histoire de la désindustrialisation. De plus, à l’époque, nous sommes dans les années 1990, le peuple commence à se séparer de ses élites qu’il juge corrompues, on voit apparaître une forme de paranoïa mondiale autour de la pédophilie. On observe une sorte de décadence spirituelle et politique. La pièce permet aussi d’aborder la colonisation à travers le Congo, où Dutroux a passé sa jeunesse… Tous ces sujets semblent se matérialiser autour de ses crimes.

Mais pourquoi avoir choisi des enfants pour interpréter cette pièce ? Cette affaire concerne l’enfant, une part de notre société qui est sacrée, surtout depuis ces 50 dernières années. Et puis, dans le théâtre d’aujourd’hui, l’enfant est celui qui dit la vérité et en même temps le tabou. C’est pour cela que ça m’a intéressé. Cela touche une dimension sociologique de mon art.

Que vous a apporté le fait de jouer avec eux ? La pièce se déroule comme une école de théâtre, avec des enfants étrangers à la scène. On leur a indiqué comment se situer dans l’espace, prendre la parole devant un public…. Avec eux, j’ai réappris mon travail car il m’a fallu réexpliquer toutes les bases !

Que verra-t-on sur scène ? Il y a cinq petits monologues des enfants, qui interprètent différentes figures de l’affaire Dutroux : son père, alors au Congo lors de la décolonisation, un policier, une victime puis les parents qui ont perdu un enfant… Ces scènes sont entrecoupées de moments de reconstitution en vidéo, où les enfants sont questionnés, chantent ou dansent. Ces cinq pièces représentent également toutes les façons de faire du théâtre, comme un mélange de tous les outils que j’utilise dans mes différentes pièces. Ici, j’aborde des questions qui me sont chères en tant que metteur en scène : Qu’est-ce que signifie “jouer une figure” ? J’interroge ce rituel qu’est le théâtre.

Five Easy Pieces © Phile DeprezDans L’Histoire de la mitraillette, vous abordez le génocide rwandais, dans The Civil Wars vous interrogez le djihadisme… Pourquoi amenez-vous ces sujets brûlants de l’actualité sur scène ? J’essaie toujours de retrouver dans ces sujets quelque chose de beaucoup plus universel. Ce qui fait le lien entre tous mes projets, c’est le questionnement sur les limites de la civilisation, où la violence commence.

Peut-on qualifier votre théâtre de politique ? Oui, je crois, dans la mesure où c’est un espace ouvert où l’on interroge des sujets sensibles, qui semblaient figés. Jouer l’affaire Dutroux avec des enfants paraissait impossible, mais cela devient politique car la pièce offre la capacité de transcender ce qui ne pouvait pas l’être, et cela grâce à la fantaisie et la puissance de l’imaginaire. La question de la transcendance est très importante pour moi. À la fin de Five Easy Pieces, un enfant prend la parole dans une sorte de révolte poétique… C’est un moment heureux, il y a une victoire sur l’indicible, le mal. Je trouve cela très beau.

Qu’est-ce qui vous a donné ce goût pour la politique ? Je crois qu’il n’existe pas de faits non-politiques dans la vie de l’humain. Il est, comme dit Aristote, “l’animal politique”. Ensuite, cela provient d’un besoin de changer les choses. Enfin, c’est l’essence même du théâtre ! Il a été créé comme une forme politique, suscitant une réaction immédiate du public face aux acteurs, c’est d’ailleurs pour cela qu’il provoque tant de remous. Regardez : des vingtaines de documentaires et de livres sont sortis sur l’affaire Dutroux, et voilà que la première pièce abordant le sujet est un scandale : il y a eu des interdictions en Angleterre et en Allemagne, une pétition en France. C’est étonnant, car le théâtre est le genre artistique le plus ancien… Mais c’est intéressant.

Propos recueillis par Julien Damien
Informations
Waregem, CC de Shakel
13.01.201820h, Complet
Namur, Théâtre Royal de Namur

Site internet : http://www.theatredenamur.be

19.01.2018>20.01.201820h30, 21,50>10,50€
Bruxelles, Théâtre national

Site internet : http://www.theatrenational.be

26.01.2018>28.01.2018ven & sam: 20h30 + dim: 15h, 22>12€
Zaventem, CC De Factorij
02.02.2018>28.01.201820h, 15>2,50€
Bruxelles, Théâtre national

Site internet : http://www.theatrenational.be

23.02.2018>25.02.2018ven & sam: 20h30 + dim: 15h, 22>12€
Charleroi, Palais des Beaux-Arts de Charleroi

Site internet : http://www.pba.be

Du lundi au vendredi de 9.30 à 18.00 et le samedi de 10.30 à 14.00.

02.03.2018>03.03.201820h, 15>10€
Amiens, Maison de la Culture d'Amiens

Site internet : http://www.maisondelaculture-amiens.com

Pour les Expositions : Ouverture du mardi au samedi de 13h à 19h, en continu les soirs de spectacles. Le dimanche de 14h à 19h.

23.03.2018>24.03.201820h30, 29>13€
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