Le surréalisme : bouleverser le réel
L'objet du délire
Tout a-t-il déjà été dit sur le surréalisme ? Loin de là. Au musée des Beaux-Arts de Mons, cette exposition renoue ainsi avec son versant subversif, son ancrage dans la société et sa façon de s’emparer des objets du quotidien, pour mieux le faire dérailler. Foisonnant de peintures, d’écrits, de photos et de pièces iconiques (dont le chapeau melon de Magritte !), ce parcours focalise essentiellement sur les acteurs belges d’un mouvement tout en ruptures, libertés et utopies contrariées.
Quelque chose cloche dans cette première salle, pas vraiment d’équerre… « C’est vrai, les murs ne sont pas droits, mais c’est volontaire », confirme Marie Godet, la commissaire de cette exposition, dont l’entrée légèrement distordue traduit à merveille ce décalage cher à Magritte et consorts. En effet, bien plus qu’un mouvement artistique ou poétique, le surréalisme belge fut avant tout « une attitude ». Ses principaux acteurs n’ont jamais eu l’ambition de “faire de l’art” ni même de comprendre le monde. Ils ont plutôt cherché à le bouleverser, pour mieux le transformer. « Il s’agit de provoquer un déclic, de nous amener à changer notre façon de voir les choses, de penser et d’agir ». Voilà justement le mérite de cet accrochage : revenir à l’essence même du surréalisme.
Détournement de fond
Dès 1926, Paul Nougé, poète et théoricien de ce courant, subvertit le quotidien des passants avec ses slogans détournant les affiches électorales. C’est l’un de ses grands préceptes : se saisir d’un objet du quotidien pour le modifier très légèrement « dans sa forme, sa matière, son échelle ou son contexte ». C’est par exemple la lunette à un seul verre et deux branches de Marcel Mariën (l’iconique Introuvable, qui corrige pour le moins le regard). Pour cela, Paul Nougé conseillera de ne pas chercher l’inspiration auprès des artistes, mais chez « les coquettes, les escrocs, les gens de foire… ». L’exposition explore ainsi la relation qu’entretenaient les surréalistes avec la publicité ou la mode, pour lesquelles Magritte oeuvrera par exemple longtemps, pour gagner sa vie.
Retour de bâton
Mais à partir des années 1960, le monde change. C’est l’arrivée de la société de (sur)consommation. Les publicitaires détournent à leur tour le surréalisme. Le monde se l’approprie massivement et il devient un mot employé à tort et à travers, vidé de sa portée subversive. Est-il mort aujourd’hui! ? Peut-être, mais l’utopie et la liberté qu’il a instillées sont toujours inspirantes. À la fin du parcours, Marcel Mariën nous montre qu’on peut transformer un barreau de prison en lime. Comprendre : l’évasion est toujours possible, il suffit de regarder la vie autrement…
Œuvres commentées par Marie Godet, commissaire de l’exposition
Le chapeau melon de René Magritte
« Voici l’un des fameux chapeaux portés par Magritte. Ses initiales sont brodées à l’intérieur sous forme de deux pastilles métalliques. En 1987, à la mort de sa femme, Georgette, toute une série de ses tableaux a été mise en vente par Sotheby’s… mais aussi le contenu de sa maison, ses effets personnels, au Palais des beaux-arts de Bruxelles. Folon y a par exemple acheté sa montre, pour ne pas la voir disparaître. On a donc assisté à un retournement de situation : Magritte détourne l’objet quotidien, et à la fin les siens sont vendus comme des œuvres d’art. »
Jane Graverol, La Prise de la Bastille (1962)
« C’est une toile de très petit format mais aux effets immenses, la technique bruxelloise au sommet de son art. Cette peinture de Jane Graverol appartenait à René Magritte et a été vendue lors de cette fameuse vente aux enchères de 1987. La toile est extrêmement simple, on ne fait pas plus dépouillé en termes de peinture. Pourtant le message est limpide, et puissant : il suffit qu’on enlève une pierre du mur de notre réalité pour découvrir que le feu de la révolution est là, rouge vif, prêt à tout faire exploser… »
Marcel Mariën, La Marque déposée (1991)
« Marcel Mariën, qui dénotait par son humour irrévérencieux et anticlérical, met en scène un Jésus Christ triomphant et fier de sa croix, ici détournée en produit dérivé très efficace. Il souligne la “commercialisation” de la religion catholique… mais aussi celle de son mouvement. En effet, au départ l’objet surréaliste n’est pas censé être de l’art, donc vendu. Pourtant dès les années 1930, ils sont achetés par les musées, ce qui cause son lot de tensions. Marcel Mariën a d’ailleurs lui aussi dû vendre des œuvres, et ce fut très douloureux… »