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Il était plusieurs fois

(c) Vasil Tasevski

Se transformer, changer de corps, de taille ou même d’espèce… Tel est le nouveau défi d’Étienne Saglio. Passé maître dans l’art délicat de l’illusion (souvenez-vous : Les Limbes, Le Bruit des loups), le magicien et metteur en scène n’a de cesse de se réinventer. Dans son dernier spectacle, Vers les métamorphoses, le Rennais révèle de nouveaux superpouvoirs. Il se mue en oiseau pour s’arracher à la pesanteur terrestre, rétrécit ou grandit au fil de tableaux époustouflants. Entremêlant théâtre d’ombres et marionnettes, l’artiste nous projette dans une fable hautement poétique, dévoile au passage quelques tours… mais pour mieux semer le trouble. Entretien.

Quelle est la genèse de cette pièce ? Lorsque je crée un spectacle, je ne sais pas exactement où je vais. Les idées et les images arrivent au fur et à mesure, je les laisse m’envahir puis les organise… Il y a dans ce processus quelque chose de l’ordre de la psychanalyse, renvoyant à ce qu’il y a de plus profond en moi. Je découvre même des choses après coup, et comprends alors mon intuition, mon inconscient. Ici, je raconte les métamorphoses d’un personnage. Ce sont des transformations subies, espérées ou laborieusement provoquées.

S’agit-il d’une quête d’identité ? Peut-être… Vers les métamorphoses arrive à un moment particulier de mon parcours. Il correspond à une séparation, après 17 ans de vie commune. J’ai découvert le fait de vivre seul. D’autant plus que j’ai grandi avec un frère jumeau. Ce spectacle évoque donc ce rapport à la solitude, la façon de se construire sans alter ego ou en le cherchant.

 © Benjamin Guillement

© Benjamin Guillement

Que verra-t-on sur scène ? La magie reste le langage principal pour raconter la transformation et le trouble ressenti par ce personnage. Il se demande qui il est dans cette histoire. Le réel est perturbé, il s’effrite. Les spectateurs ressentent aussi cette perte de repères, ne savent plus non plus qui est vraiment l’interprète. Quand ils pensent que c’est lui, eh bien c’est une marionnette…

Outre la magie, il y a donc du théâtre d’objets ici… Énormément. Le personnage peut tantôt évoluer en marionnette très réaliste de 90 cm ou nettement plus grande. Il rencontre aussi un chien, et devient lui-même l’animal. Quelque part, la métamorphose est une rencontre. Quand on se côtoie, on se mélange, on se nourrit de l’autre.

Vous revêtez aussi différents masques, n’est-ce pas ? Oui, les rites de métamorphoses supposent souvent un objet, que ce soit chez les chamanes, dans les transes… J’ai choisi un masque en carton, un peu enfantin. Il a une apparence animale, avec de grandes oreilles et un bec car le personnage se transforme en animal pour voler ou courir plus vite.

(c) Vasil Tasevski

(c) Vasil Tasevski

Qu’en est-il du décor ? Depuis Le Bruit des loups, nous adoptions une scénographie imposante. Cette fois il n’y aura pas de forêt sur le plateau… mais une vaste grotte. Le décor est magique, évoluant au gré des hallucinations du personnage.

On parle souvent de magie nouvelle en qualifiant votre travail. Que recouvre ce terme ? Il s’agit d’appréhender la magie comme un art contemporain, un outil pour raconter le monde d’aujourd’hui, comme le théâtre ou la danse. C’est aussi un clin d’oeil au cirque nouveau ou au nouveau roman, une façon d’affirmer sa modernité. On reprend des techniques ancestrales mais en y adjoignant des procédés numériques, par exemple.

Comment considérez-vous la magie “traditionnelle”, celle de Jean-Eugène Robert-Houdin ? Je suis totalement dans cette filiation. Cette période, celle du début de la révolution industrielle, est d’ailleurs passionnante. La magie de Robert-Houdin est apparue à un moment où les lignes entre le possible et l’impossible se déplaçaient, avec la découverte des atomes, l’électricité… La cosmogonie, c’est-à-dire la représentation du monde, fut totalement bouleversée. De la même manière, la magie nouvelle est arrivée en même temps que la révolution numérique. A une époque où l’on peut scanner un objet et l’imprimer à l’autre bout du monde, où l’on assiste à l’avènement de l’IA, les magiciens ont aussi une voix à faire entendre.

Cela dit, la marionnette tient une place importante dans vos créations… Pourquoi ce choix ? C’est une des clés de voûte de mon travail, où les formes prennent vie. L’animation vient du latin “anima”, qui signifie donner une âme aux choses, que ce soit à un bout de plastique figurant un fantôme ou à des balles en ferraille se mettant à voler. J’ai développé cette idée et, avec les marionnettes, le trouble va vraiment loin. Avec un résultat de l’ordre du film d’animation, mais sur le plateau et pas à l’écran.

© Benjamin Guillement

© Benjamin Guillement

Vous étiez d’abord jongleur. D’où vous vient cet intérêt pour la magie ? Mon parcours est logique : c’est celui de l’autonomisation des objets. Quand on jongle, on les tient, les lance, les rattrape… Progressivement, j’ai eu envie de les lâcher un peu plus longtemps. Je leur ai donc appris à voler, j’ai donné des ailes à mes balles. Grâce à la magie, aux marionnettes, les objets ont commencé à vivre leur propre vie, sont devenus de plus en plus autonomes, à l’image du fantôme en plastique dans Les Limbes, que j’essaie d’apprivoiser mais qui se balade tout seul.

La magie est-elle une façon de fuir la réalité ? Au contraire, pour moi elle permet d’habiter le réel. La magie lui donne de la saveur, de l’harmonie et même du sens. Rappelons que le monde est subjectif, il est ce qu’on en voit. Le terme de “fuite” s’appliquerait mieux au virtuel. Pour moi, la magie, c’est le vrai monde.

Que cherchez-vous à produire chez vos spectateurs ? Un enchantement assez vivace afin qu’il perdure après le spectacle, et donne envie de croire en la magie, d’activer ce pétillement perturbant notre perception des choses.

Il y a quelque chose de l’ordre du “forain” dans votre art, n’est-ce pas ? Oui, je viens clairement de là, des “sideshows” du cirque Barnum. Il y avait le chapiteau et, à côté, des baraques de foire, avec la femme à barbe, l’homme le plus fort du monde, etc. En tant que magicien et jongleur, c’est mon endroit, ma place. J’y invite les gens afin qu’ils s’éloignent du réel.

© Paul Pascal  Département de Loire-Atlantique

© Paul Pascal Département de Loire-Atlantique

Dans ce spectacle, vous rapetissez, grandissez, volez même… Auriez-vous réellement des pouvoirs magiques ? On en a tous, il suffit juste de les découvrir ! Mon principal pouvoir est d’être bien accompagné, car j’ai une équipe incroyable qui permet tout ça.

D’ailleurs, vous la mettez en scène ici… Oui, pour la première fois l’équipe technique est visible, joue son propre rôle. Le spectacle se crée devant le public. On montre la fabrication des trucages, un peu comme dans les films de Méliès où l’on s’amusait de l’illusion avec la complicité des spectateurs, mais pour mieux semer le trouble. Les marionnettes deviennent les techniciens, qui eux-mêmes deviennent les personnages… tout se mélange !

Propos recueillis par Julien Damien / Photo © Vasil Tasevski
Informations
Mons, Théâtre Le Manège
17.12.2024>20.12.2024mar, jeu & ven : 20h • mer : 18h, 20>6€
Valenciennes, Le Phénix

Site internet : http://www.lephenix.fr

01.04.2025>03.04.202520h, 26>5€
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