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Toutes les femmes de sa vie

© Valentin Folliet

Dans une loge où flotte le parfum des cosmétiques, Hugo Bardin se farde avec méticulosité. D’ici une heure, il sera maquillé, perruqué et costumé pour devenir Paloma, la drag-queen qui l’a fait connaître. Et ces derniers mois, impossible d’y échapper ! On l’a vue reine de la première saison de Drag Race France, puis jurée dans la version belge, chroniqueuse dans Quotidien, mannequin à l’ouverture des JO et premier personnage queer de la franchise The Walking Dead… Et pourtant, son premier spectacle ne dit (presque) rien d’elle ! Pourquoi ? Réponses…

Comment décririez-vous Paloma au PluriElles ? Ce spectacle ne parle pas de Paloma, mais de tous les personnages qui la composent. C’est un seul en scène, dans la tradition de Muriel Robin, Valérie Lemercier, Élie Kakou ou Alex Lutz, dans lequel j’incarne des figures féminines, qu’elles soient gentilles, méchantes, névrosées, féministes… C’est une lettre d’amour aux femmes ! Au départ, je suis comédien, metteur en scène, scénariste, ça me paraissait donc logique d’aller vers le théâtre. Je suis une drag-queen, certes, mais ce n’est pas un drag-show, ni du cabaret. Ne vous attendez pas à des changements de costumes toutes les cinq minutes. Je suis habillée en noir, j’ai une seule tenue qui évolue, un décor minimaliste, et tout se passe dans les perruques et le jeu.

Vous incarnez tour à tour une mère de famille, une guide de musée excédée, une bimbo touchante… mais finalement, de qui se moque-t-on ? Ça ne m’intéresse pas de faire des blagues sur les gros, les lesbiennes ou les pédés, ou alors avec une audience complice. Je ne me moque pas de la couleur de peau des gens, des accents, je ne vais pas imiter le Chinois comme Michel Leeb il y a trente ans… Mon spectacle est queer et féministe. Je m’attaque au patriarcat, surtout, mais aussi aux réacs. Beaucoup de mes personnages sont odieux, et on rit d’eux, pas avec eux. Ma bourgeoise de Dinard par exemple, s’en prend à sa femme de ménage, mais c’est elle qui est grotesque. Après, j’aime quand ça dérange, l’humour noir !

En effet, le personnage de Néfertiti, la bimbo, est très drôle mais plutôt sombre, n’est-ce pas ? C’est mon préféré ! J’adore les cagoles, et c’est pour ça que je termine le spectacle avec elle : c’est le seul personnage qui ne ment pas, n’est pas frustré ou fâché contre les autres. Néfertiti est vraie, assume qui elle est et emmerde les rageux ! Pour moi, c’est ça les cagoles, des féministes boudées par les féministes, parce qu’elles incarnent certains clichés de la féminité. Mais je les trouve tout aussi légitimes car elles sont authentiques, ne se laissent pas faire par les mecs, disent tout ce qu’elles pensent… Je les trouve touchantes. Et la mienne, plus particulièrement, parce qu’elle est pudique. Elle raconte sa vie, qui est atroce, mais oublie de dire le plus important : elle a un enfant dont elle a perdu la garde…

Ce spectacle où on ne parle pas de Paloma, se conclut pourtant par une chanson très personnelle… Étonnamment, ce n’est pas moi qui l’ait écrite mais Rebeka Warrior, avec qui j’avais donné un concert “spécial Mylène Farmer” à la Maison de la radio, l’année dernière. Elle m’a contactée en me disant : “Je t’ai écrit une chanson, je suis un peu trouillarde, j’ai peur que tu me dises que tu n’aimes pas, dis-moi ce que tu en penses…”. J’ai littéralement fondu en larmes en lisant son texte ! C’était un moment un peu difficile, j’étais sur Quotidien, je prenais beaucoup de haine dans la tronche, beaucoup d’homophobie. Je me demandais à quel point j’avais envie de m’exposer en tant que personne queer, alors qu’au départ je suis juste comédien. Elle a vraiment écrit un texte à ce sujet, et ce que ça signifie de s’offrir au monde. J’ai réalisé le clip moi-même, en m’inspirant de l’histoire de Frankenstein, du rapport créateur-créature. Rebeka y joue Hugo, en train de fabriquer Paloma, et la création lui échappe…

Depuis quelques semaines, le spectacle est prolongé par un nouveau support. Pouvez-vous nous en dire plus ? Oui, la bande-dessinée est sortie ! On m’a proposé d’éditer le texte du spectacle, et je me suis dit “Non, faisons quelque chose de plus marrant”! C’est une collaboration avec Hugo Michalet, un caricaturiste très talentueux, qui a réalisé l’affiche de Paloma au PluriElles. Je dis souvent que je ne deviens pas une femme quand je suis en drag : je suis une caricature, un cartoon. C’est donc cohérent !

© Valentin Folliet

© Valentin Folliet

Reine de la toute première saison de Drag Race France, vous avez aussi participé à la première saison de la version belge, en tant que jurée cette fois. Que retenez-vous de cette expérience ? Je me suis sentie très légitime ! Je leur avais dit : “Je veux faire le premier épisode, c’est le seul que les gens vont regarder” ! C’était très sympa, je m’entends très bien avec Rita (Baga, la présentatrice, ndlr), c’était aussi l’occasion de passer la journée avec Lio, que j’adore, de voir des queens belges et puis de passer de l’autre côté. Je pense bien comprendre la culture de ce pays : beaucoup d’humoristes que j’aime sont belges, et une certaine part de mon humour vient de Strip Tease, c’est une référence pour moi. Quand je joue en Belgique, j’adapte forcément des petites choses, lance des petites réf, des clins d’œil… et j’y suis toujours très bien reçue : il y a une culture très queer, depuis plus longtemps que chez nous, d’ailleurs, avec des cabarets qui sont de vraies institutions.

Comment vivez-vous cette exposition médiatique phénoménale depuis Drag Race France ? On est content de placer des drag-queens dans des émissions, parce que c’est à la mode, mais nous invite-t-on pour de bonnes raisons ? On s’expose à une large audience, face à un public pas du tout averti ni concerné, et on est très loin de n’avoir que des supporters. J’ai par exemple reçu des menaces de mort… Je suis donc partagée : j’ai eu énormément de chance car on m’a proposé des choses tout de suite. Mais j’ai aussi conscience de l’effet “queerwashing”.

Avez-vous refusé de participer à certaines émissions ? Oui, car je refuse d’être la “pétasse” de service. On reste dans le cliché de La Cage aux folles, considérées comme des idiotes, et ça donne du grain à moudre à tous ceux qui pensent qu’on se moque des femmes… Ça ne m’intéresse pas de perpétuer un préjugé. Même si je suis un mec d’1m84 qui ne dupe personne sur son identité, dans la tête des gens, quand je suis Paloma, je reste une figure féminine. Il ne faut surtout pas que j’apparaisse comme une bécasse. J’ai fait des choses qui ont du sens parce qu’elles peuvent toucher un public plus large que celui du drag.

Propos recueillis par Olivia Volpi / Photo © Valentin Folliet
Informations
Arras, Casino
15.10.202420h, 36/31€
Charleroi, Eden

Site internet : http://www.eden-charleroi.be

29.10.202420h, 30€
Lille, Théâtre Sébastopol

Site internet : http://www.theatre-sebastopol.fr/

30.10.202420h, 47>23€
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