Joshua Weilerstein
Accord transatlantique
C’est une nouvelle ère qui s’ouvre à l’Orchestre national de Lille. Joshua Weilerstein, 37 ans, succède en cette rentrée à Alexandre Bloch, qui fut durant huit ans le directeur musical de l’institution créée par Jean-Claude Casadesus. Venu de l’Orchestre de chambre de Lausanne, le chef américain fait déjà l’unanimité dans la capitale des Flandres, où l’on salue son « ouverture » et sa « générosité ». Il nous en dit un peu plus sur lui.
Quelle fut votre première émotion musicale ? C’était sans doute avant ma naissance, car ma mère jouait du piano lorsqu’elle était enceinte de moi ! Plus consciemment, je pense que c’est lorsque j’ai entendu pour la première fois Le Sacre du printemps de Stravinsky, une œuvre emplie d’énergie… Je devais avoir cinq ou six ans, et je me souviens d’une expérience assez “wouaouh” !
Quand avez-vous décidé de consacrer votre vie à la musique ? Je suis né dans une famille de musiciens. Mon père est violoniste, ma mère pianiste et ma soeur violoncelliste. J’ai commencé par le violon, mais je n’étais pas très assidu… En réalité, je voulais d’abord devenir écrivain. Puis, quand j’ai eu 14 ans, j’ai fait partie d’un orchestre de jeunes. Lors d’une tournée au Guatemala et au Panama, on a joué devant des milliers d’enfants, qui n’avaient jamais entendu de musique classique. Voir leur réaction fut un moment incroyable. J’ai alors pensé à en faire mon métier. À partir de là, j’ai étudié beaucoup plus sérieusement, notamment au conservatoire de Boston.
Pourquoi la direction d’orchestre ? Quel fut le déclic ? Durant mes études au New England Conservatory, j’ai commencé à diriger des groupes d’amis, puis un jour j’ai emprunté un DVD de Carlos Kleiber à la bibliothèque de l’école. Sa manière de diriger l’orchestre fut une révélation…
Quels seraient vos compositeurs préférés ? Beethoven, Schubert, Chostakovitch… c’est difficile de choisir, il y en a beaucoup. Mais je dirais Mahler, peut-être parce que je suis totalement plongé dans son oeuvre en ce moment !
Êtes-vous aussi attiré par la pop ? Un peu, mais pour être honnête je n’ai pas le temps d’en écouter. Mais j’aime beaucoup la musique des sixties et des seventies, comme les Beatles ou Led Zeppelin.
Quel regard portez-vous sur Lille ? C’est une grande ville. Ma femme et moi adorons nous promener dans le Vieux-Lille. On apprécie beaucoup la nourriture d’ici et j’ai l’impression que les gens sont très ouverts, enthousiastes. Pour moi, c’est parfait !
Quels sont les atouts de l’Orchestre national de Lille ? Son énergie volcanique, quels que soient les concerts. L’ONL fait toujours preuve du même engagement, partout en région, même dans des salles moins impressionnantes que le Nouveau siècle. D’ailleurs, je souhaite poursuivre cette mission dans les Hauts-de-France autant qu’à l’international. Je rêve par exemple d’une “tournée Eurostar” avec des concerts à Amsterdam, Bruxelles, Lille, Paris et Londres.
Il paraît que vous souhaitez faire découvrir au public un répertoire qu’il ne connaît pas forcément… Oui, je souhaite explorer la musique américaine, mais aussi l’oeuvre des compositeurs détruite par les nazis, considérée comme “dégénérée”. Pavel Haas, Gideon Klein, Viktor Ullmann sont par exemple très importants pour moi. Nous vivons des temps difficiles. La musique ne nous impose aucun modèle de pensée, mais elle peut nous permettre de comprendre l’Histoire.
Quelle “couleur” aura cette saison ? Pour mes quatre premiers concerts je ne focaliserai pas sur un compositeur. Je préfère montrer la variété infinie de la musique classique. Et avec un tel orchestre, on peut en explorer toutes les facettes. Sky is the Limit !
Par exemple, pouvez-vous nous parler de ce programme autour de Ives, Gershwin et Ravel ? Je tiens à jouer de la musique américaine, comme le Concerto pour piano en fa de Gershwin. Ou encore Three Places in New England de Charles Ives, selon moi le compositeur le plus révolutionnaire du XXe siècle. J’aime aussi beaucoup les oeuvres françaises. Ce même soir nous interprétons Le Tombeau de Couperin et La Valse de Ravel. Il y a des ponts évidents entre les musiques française et américaine. D’ailleurs, il y a une anecdote que j’adore. Lors de leur première rencontre en 1928, Gershwin demanda à Ravel de lui enseigner la composition. Ravel lui répondit : « Pourquoi seriez-vous un Ravel de seconde classe alors que vous pouvez devenir un Gershwin de première classe ? »
Ces dernières années, l’ONL s’est beaucoup ouvert au public. Souhaitez-vous poursuivre dans cette voie ? Oui, pour moi il est primordial de briser ces murs entre l’orchestre et le public, qui a parfois peur de venir aux concerts. Je reste persuadé que tout le monde peut apprécier la musique classique, ce n’est pas un genre élitiste, réservé à une poignée d’initiés.
Vous avez d’ailleurs créé le podcast Sticky Notes, dans lequel vous présentez la musique classique au plus grand nombre. Pouvez-vous nous en parler ? L’idée de ce podcast m’est venue entre deux voyages. Alors que j’étudiais une partition, une personne m’a dit qu’elle aimait beaucoup la musique classique mais qu’elle ne la comprenait pas. Je me suis alors demandé ce qu’aurait fait Leonard Bernstein s’il était encore vivant. Sans doute un podcast ! Alors je l’ai créé. Je vais d’ailleurs le poursuivre ici, avec l’ONL, et en français j’espère !
ONL
Lille – Nouveau siècle, 30 place Mendès France, onlille.com
Sélection / 12.10 : À la découverte de l’orchestre // 17 & 18.10 : Ives, Gershwin & Ravel // 24 & 25.10 : Rone- L(oo)ping (complet !) // 30 & 31.10 : Ciné-concert Le Dictateur // 06 > 09.11 : Bizet par Jean-Claude Casadesus // 07.11 : Musique de chambre avec les musiciens de l’ONL#1 // 16.11 : Mystère à l’orchestre // 21 & 22.11 : Danses symphoniques // 29.11 > 05.12 : Schubert par Jan Willem de Vriend // 02.12 : Musique de chambre avec les musiciens de l’ONL#2 // 11 > 17.12 : Concert de fin d’année
À visiter / joshuaweilerstein.com