Cindy Sherman
Effet miroir
Voilà plus de 50 ans que Cindy Sherman multiplie des images d’elle-même dans des mises en scène se jouant des stéréotypes. À Anvers, le FoMu consacre à la photographe américaine sa première grande exposition monographique en Belgique. Réunissant une centaine d’oeuvres, des années 1970 à nos jours, Anti-Fashion confronte commandes et créations personnelles, auscultant sa fascination pour la mode.
Elle est à la fois tout le monde et unique, déclinée à l’infini mais bien cachée. Voilà plus d’un demi-siècle que Cindy Sherman réalise des autoportraits sans rien révéler d’elle-même. Depuis ses débuts, l’Américaine demeure son propre modèle, utilisant son visage pour créer une foultitude de personnages, toujours seule. « Elle endosse tous les rôles, est à la fois styliste, maquilleuse, coiffeuse, mannequin et photographe », détaille Rein Deslé, curatrice au FoMu. Elle est ici grimée en clown chatoyant (et un peu inquiétant), là femme mystérieuse comme échappée d’un film d’Hitchcock ou apparaît en homme, façon flâneur androgyne. Au-delà de la performance technique (et de l’amusement manifeste), Cindy Sherman a surtout initié avant tout le monde une réflexion sur la construction de l’identité et le rôle de l’image dans celle-ci. Sans jugement ni satire, mais avec une bonne dose d’ironie (voire de grotesque), cette artiste caméléon nous tend un miroir. Elle interroge les canons de beauté comme les stéréotypes (de genre, d’âge) imposés par la mode, la publicité, le cinéma et désormais les réseaux sociaux.
Je t’aime moi non plus
À Anvers, une exposition introductive présente les fameux Untitled Film Stills, qui l’ont révélée dans les années 1970. Soit des clichés en noir et blanc où elle incarne des archétypes féminins (la vierge effarouchée, la bourgeoise solitaire) véhiculés par les films des années 1950 et 60. Ensuite, place à Anti-Fashion. Ce second accrochage explore cette fois son travail « à travers le prisme de la mode », dévoilant des collaborations avec les magazines Vogue ou Harper’s Bazaar, les maisons Balenciaga ou Comme des garçons. Des relations longtemps fragiles : « ses créations ont d’abord choqué. Beaucoup de commandes, considérées comme laides, “anti-mode”, furent refusées, explique Rein Deslé. Puis, dans les années 1990, les marques ont compris que ses photographies pouvaient servir leur image ». Vous avez dit cynique ? Au fil d’une scénographie parsemée de miroirs se déploie ainsi une oeuvre ambivalente, où les apparences sont plus que jamais trompeuses… et trompées !