Vhils
Au-delà des murs
Il s’est fait connaître en dynamitant (parfois littéralement) les codes du street art. Depuis plus de 15 ans, Alexandre Farto, aka Vhils, attaque les murs au marteau-piqueur, à l’acide voire à l’explosif pour y graver des visages, le plus souvent anonymes. À travers ce processus atypique, le Portugais humanise les rues du monde tout en révélant la mémoire enfouie de nos cités. À Bruxelles, il a sculpté une gigantesque fresque derrière la place de la Monnaie, et présente au MIMA une exposition d’oeuvres créées sur mesure. Intitulée Multitude, celle-ci réunit des bas-reliefs façonnés dans la brique, des vidéos, des collages d’affiches creusés au cutter, et interroge notre rapport à la ville.
Originaire de la banlieue de Lisbonne, Alexandre Farto a débuté comme tout street-artiste qui se respecte : en graffant des trains avant de fuir la police. Aujourd’hui, le Portugais se fait appeler Vhils (ses lettres favorites) et s’est imposé comme l’un des créateurs les plus courus… en proposant l’exact contraire de ses contemporains. Car depuis 2007, il ne recouvre plus les murs, il les « épluche », dit-il. « C’est une évolution naturelle de mon travail. Je souhaitais transcender la surface et explorer ce qui se trouve en dessous, explique l’intéressé. Il s’agit de découvrir quelque chose de plus profond, qui parle de nos expériences et souvenirs communs. Creuser les murs c’est comme accéder à l’histoire de la ville, c’est de l’archéologie urbaine ».
Art de destruction massive
Pour cela, le Lisboète a employé une technique aussi inédite que spectaculaire, abandonnant les bombes de peinture pour… le marteau-piqueur et les burins. Le premier lui permet de « retirer rapidement de grandes sections de la surface du mur, créant ainsi le contour grossier de l’oeuvre », tandis que les seconds « favorisent la précision et les détails ». De cette subtile dualité entre création et destruction surgissent alors différentes couches de matière (du plâtre, de la brique, du ciment…) offrant autant de contrastes et de reliefs à ses fresques… Il n’est pas non plus rare de le voir utiliser de l’acide ou des explosifs, introduisant « un élément de chaos contrôlé. Le défi consiste à maîtriser ces outils puissants pour parvenir à cette finesse. C’est un équilibre entre l’énergie brute et la minutie de l’artisanat ».
Les murs du sens
Pari réussi, tant cette violence créative tranche avec la délicatesse de ses oeuvres, qui transpirent d’humanité. « C’est l’un des aspects essentiels de sa pratique : il représente principalement des visages d’anonymes, commente Raphaël Cruyt, le directeur artistique du MIMA, qui lui consacre une fascinante exposition – où l’on découvre, entre autres, ses films ralentis à l’extrême ou ses antennes paraboliques sculptées à la disqueuse. Dans la ville, les hommages aux citoyens sont rares, si ce n’est à travers les monuments aux morts. Lui érige alors des ouvrages en interrogeant la relation intime entre la ville et ses habitants ». Il relie, aussi, le passé au présent, à l’image de ce monumental visage de femme gravé à Bruxelles, derrière la place de la Monnaie, point de départ en 1830 de la révolution belge. Le portrait s’orne à sa gauche d’une petite fleur, évoquant aussi la révolution des OEillets, qui a libéré le Portugal de la dictature en 1974. « Cette oeuvre symbolise l’esprit de changement et la lutte permanente pour la justice, rappelant le pouvoir de l’action collective », décrypte Vhils, pas dupe de la résurgence des nationalismes à travers le monde – un sujet à creuser, assurément.