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L'art de la chute

IO SONO L'ITALIA (c) Sandro Giordano

Depuis plus de dix ans, le photographe italien Sandro Giordano met en scène de stupéfiantes chutes. Composées avec des comédiens, ces images pour le moins casse-gueule, aussi loufoques soient-elles, demeurent emplies de sagesse. Acteur durant une vingtaine d’années avant de passer derrière l’objectif, ce fan de Charlie Chaplin et de Laurel et Hardy pointe avec malice ces petits travers aux grandes conséquences qui font vaciller notre espèce.

Plus drôle sera la chute ! À travers la série In Extremis (bodies with no regret), Sandro Giordano met en scène de sacrées gamelles, avec un sens certain du burlesque et de l’ironie. Au fil de ces images, les corps révèlent d’improbables contorsions, la face aplatie contre le sol, telles des poupées désarticulées. « Mes photographies sont des histoires courtes reflétant un monde qui s’écroule, commente l’artiste. Chaque cliché montre des personnages usés qui s’écrasent sans chercher à se sauver ». Eh oui, à y regarder de plus près, ces compositions n’ont rien d’accidentelles. Ces gadins offrent une spectaculaire allégorie de la fragilité de notre humaine condition, brisée par ses obsessions, comme la nourriture, le sport, l’alcool, le travail… quitte à rater l’essentiel ? « Exactement, confirme le Transalpin. J’aime exagérer les névroses et les angoisses dont, pour le meilleur ou le pire, nous souffrons tous. Nous courons chaque jour comme des fous et passons à côté des choses importantes de la vie, à commencer par les relations humaines et la recherche de sérénité ».

Humanité possédée

D’ailleurs, vous remarquerez que nos malheureux cascadeurs, aussi mal tombés soient-ils, ont tous sauvé un objet dans une main. Ici un verre, là un téléphone ou une raquette de tennis, soit autant de symboles de ce qui a précipité leur effondrement. « Nous accumulons des choses inutiles, imaginant qu’elles rempliront notre existence, mais c’est le contraire qui se produit. Nous pensons les posséder mais en réalité ce sont elles qui nous possèdent », philosophe Sandro Giordano, qui a lui-même vécu l’expérience de la culbute rédemptrice. « Ce projet a débuté comme une blague, après une mauvaise chute à vélo. En tombant, je me suis cassé le poignet parce qu’au lieu de lâcher la barre protéinée que je mangeais en pédalant, je l’ai instinctivement serrée dans la main. J’aurais peut-être pu amortir le choc si je l’avais laissée ». Un mal pour un bien ? Sans doute. « Après l’accident, j’ai commencé à réfléchir au stress qui pourrit notre vie. Si nous nous blessons, c’est que quelque chose ne va pas, notre corps envoie des signaux. Il faut donc tomber pour se relever. À travers mes photos, j’envoie un message clair à tout le monde : soyons prudents ». Bien reçu !

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LA PECORINA (c) Sandro Giordano

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Julien Damien / Photo : Sandro Giordano
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