François Prost
Boîtes de jour
Depuis 2011, François Prost sillonne les routes départementales de l’Hexagone pour photographier des façades de discothèques. Réalisées en plein jour, ses images immortalisent cette esthétique kitsch typique des boîtes de nuit de la France dite “périphérique”. Rassemblés dans le livre After Party, dont la seconde édition paraît en septembre, les clichés de ce Parisien né à Lyon documentent avec un humour tendre des lieux dédiés à la fête et désormais en voie d’extinction.
Des colonnes romaines en stuc, des têtes de sphinx en veux-tu en voilà, des cocotiers synthétiques, des façades rose bonbon et puis des noms aux saveurs antiques ou exotiques, de “l’Acropol” au “Cabana Coco”… Voici le genre d’images peuplant After Party, série recensant les architectures vernaculaires de discothèques de la France des campagnes. Mais ne voyez dans cette démarche aucune condescendance ni moquerie facile. Juste « un peu de malice », concède François Prost, ancien graphiste devenu photographe avec ce projet, dont le procédé sériel intrigue : le cadrage est toujours identique, le cliché pris à la même distance et, surtout, en plein jour, éclairant ces petits temples de la nuit d’une lumière nouvelle. « C’est une manière de rendre hommage à ces lieux dans lesquels on a tous un souvenir, explique le quadragénaire, qui lui-même a fréquenté, durant ses jeunes années, ces établissements où les moins de vingt ans ne s’encanailleront peut-être plus. Ce sont des endroits, en tout cas pour ma génération, où l’on vivait ses premiers instants d’ adulte, son premier baiser, les histoires de bagarre… »
Gueule de bois
Comme à peu près toutes les bonnes idées, celle-ci est née « par hasard ». Un dimanche matin de 2011, François est en balade à vélo avec un ami, quelque part en Bourgogne. « J’avais un peu d’avance sur lui, et me suis retrouvé à l’attendre sur le parking d’une discothèque. On y trouvait des bris de verre, des mégots, des flyers déchirés… soit les vestiges de l’agitation de la veille mais dans un environnement assez bucolique et calme. Le décalage était très fort ». La mélancolie pas loin non plus. « C’est un peu le lendemain de fête, les lumières se rallument, on découvre que la boîte est une ancienne ferme ou un préfabriqué… ». Les excès et la magie de la nuit se sont éclipsés, comme s’éteignent peu à peu les stroboscopes à mesure que les zones rurales se dépeuplent et que la “bamboche” se conçoit désormais en petits comités, chez soi.
Boîtes conservées
Selon l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie, on comptait ainsi 4 000 boîtes de nuit dans les années 1980, pour quelque 1 200 aujourd’hui – « d’ailleurs, la moitié de celles que j’ai recensées n’existent sans doute plus aujourd’hui ». Fasciné par « ces décors kitsch, la richesse typographique des intitulés et ces couleurs éclatantes », le photographe entreprend alors un tour de l’Hexagone (et quelques crochets en Belgique) à vélo, en train ou en voiture, avec l’idée d’archiver ces clubs hors du temps, offrant « une sorte de carte postale de la France des parkings, des champs de betteraves et des zones commerciales ». En résulte un ouvrage de près de 200 clichés. Publié une première fois en 2018 chez Headbangers Publishing (sous l’égide du label Ed Banger Records d’un certain Pedro Winter), ce beau livre ressort augmenté de nouvelles images, d’où transpire toujours cette nostalgie sucrée, triste et belle comme un lendemain de fête.
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À lire / After Party, édition 2, François Prost, 208 p., 40€, francoisprost.com