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Blague à part

Y a-t-il un grand film (belge) dans la salle ? Photos extraites du livre Les Snuls sont très connus, CFC-Éditions

Eh bien voilà, les Snuls ont 33 ans. Oui, comme le Christ sur la croix, dans une version plus drôle et moins clouée. Oh, n’attendez pas une résurrection de la bande la plus allumée du Royaume. Par contre, elle n’a pas fini de nous faire marrer. Débarquée en 1989 sur les ondes belges avec son humour trash et potache, la troupe jouit ces temps-ci d’une triple actualité. On attend la sortie d’un documentaire, la publication d’un beau livre rétrospectif et enfin un concert hommage, Santa Belgica ! L’occasion rêvée d’ouvrir la boîte à souvenirs avec un ex-membre mythique : Fred Jannin, bien entendu !

Comment les Snuls sont-ils nés ? Un peu malgré nous. On n’avait pas rêvé de devenir humoristes. Tout a démarré en 1989. Canal + avait ouvert une succursale en Belgique. La chaîne avait besoin de contenus belges et nous a contactés. On n’était pas du tout des gens de télé ! Juste cinq amis venant de la pub, de la musique… Moi, je travaillais dans la bande dessinée. Mais ça nous disait bien de jouer avec ce support. On a alors lancé Plus ou moins net, une émission parodique, comme une chaîne dans la chaîne, avec des speakerines, un JT, des publicités, un ciné-club, des clips…

Vous n’aviez alors pas de grandes ambitions, n’est-ce pas ? Ah, c’est certain ! Non seulement on ne voulait pas faire carrière, mais très sincèrement on pensait être virés au bout de deux semaines. C’est d’ailleurs pour ça qu’on a poussé très loin l’irrévérence. Quitte à se faire éjecter, autant y aller à fond !

Et pourtant le succès fut au rendez-vous… Eh oui. Pour tout dire, à la fin de la première saison, on avait décidé de tourner une émission en public, un peu comme une fête d’école. On avait réservé une salle et, contre toute attente, elle a vite été remplie de gens fanatiques, armés de chicons et qui sortaient des répliques dont on ne se souvenait pas nous-mêmes ! Je pense que le christianisme a commencé comme ça, avant de prendre d’autres proportions.

Comment l’émission s’est-elle arrêtée ? À partir de la quatrième saison, on a commencé à comprendre comment le bazar fonctionnait. Du coup, c’était moins rigolo. Alors on a décidé d’arrêter. On a continué un peu la radio car, entre-temps, la RTBF nous avait proposé de monter une émission équivalente. Puis tout ça est devenu culte avec le temps.

Pourquoi ce nom, les Snuls ? C’est peut-être notre seule gaffe. Croyant qu’on allait tenir deux semaines on s’était dit : “il y a les Nuls en France, on va faire les Snuls ici, histoire de se moquer d’eux”. Le jeu de mots était marrant, car à Bruxelles “snul” signifie “imbécile”, “attardé mental”… ça sonnait bien ! On ne se doutait pas qu’un jour, sur la porte du bureau des Nuls, à Paris, serait écrit : “Nous sommes les Snuls français”. Ils l’ont bien pris, mais au début ça a été chaud. Dominique Farrugia s’est même plaint auprès de Marcel Gottlieb, alors un de mes grands amis, en lui disant : « Tu te rends compte, en Belgique il y a des gens qui nous pompent tout et qui s’appellent les Snuls ! ». Heureusement, Marcel nous a sauvé les miches en lui expliquant que notre humour n’avait rien à voir.

Justement, qu’est-ce qui faisait la particularité de l’humour des Snuls ? Vaste question, à laquelle je cherche toujours la réponse ! En Belgique, on a un état d’esprit sensiblement différent qu’en France. Pour résumer je dirais : nous, on sait qu’on va mourir, qu’on est peu de choses et pas là pour bien longtemps, alors on ne va pas commencer à se la péter ! On a simplement envie de jouir de notre court temps sur cette planète, et donc de se moquer de tout, à commencer de nous-mêmes, et dézinguer tout ce qui est sur un piédestal.

Oui, vous n’aviez aucune limite, abordant des sujets polémiques comme le port du voile, les désaccords avec les Flamands… On ne voulait épargner personne, c’était dans le cahier des charges. Mais rire de tout n’est pas si facile. Il y a le risque de dépasser certaines bornes… On a mis le doigt sur des choses sensibles, et c’est justement parce que ça fait mal que c’est drôle. Ça n’a rien de malveillant, c’est même plutôt sain. D’ailleurs on remet beaucoup en question cette liberté aujourd’hui. Les gens ont peur de blesser…mais il n’y a rien de plus débile que de demander l’autorisation de rire ! C’est comme manger, boire, respirer…

Vous avez aussi beaucoup joué avec les accents belges… Oui, avant nous il était exclu de les entendre à la télévision ! Nous, on a joué comme des malades avec ça. Il n’y a rien de plus jubilatoire. Je le compare avec mon travail pour la BD : donner un accent à un personnage c’est comme en dessiner un avec des grand pieds ou un gros nez, ça l’identifie, le caricature. Et curieusement, quand on lit un texte avec un accent, il devient tout autre chose. La forme influence le fond. Dans le milieu de la BD, mes collègues de la génération précédente appelaient leurs potes en France pour savoir si ceci ou cela n’était pas trop belge, bien compréhensible… Il y avait une sorte de grand complexe que les Snuls ont libéré. On se foutait de savoir si les Français nous comprenaient !

D’ailleurs à l’époque, il paraît que Philippe Gildas et Antoine de Caunes n’avaient rien compris à votre humour ! Mes comparses leur avaient effectivement présenté une cassette, Saucisse TV, qui a fini dans un tiroir avant d’être ressortie par Canal + Belgique. Avec le recul, je pense que les Français n’étaient pas encore prêts pour notre humour. C’était bien avant la grande vague de Belgitude, Benoît Poelvoorde, François Damiens et les autres. On est arrivés trop tôt, mais ce n’est pas grave !

Où puisiez-vous l’inspiration ? En Belgique, on est tous des “Zinneke”, soit des “bâtards”. On est un mélange de cultures : anglo-saxonne, espagnole… une espèce de grosse mixture. Il faut savoir aussi qu’à l’époque, le pays comptait 25 chaînes de télé, on avait donc un œil sur toute l’Europe. Ce qui nous permettait, à moi et mes potes, de regarder l’humour anglo-saxon à la BBC, la télé hollandaise ou la partie flamande de la Belgique, qui était d’ailleurs beaucoup plus alimentée par ce type d’humour dérisoire, “absurde”, alors pas forcément franchouillard. C’est d’ailleurs Goscinny et Gotlib qui ont amené cette dérision en France, ce côté parodique. Les Nuls sont les héritiers de cet état d’esprit.

Quand il s’agit de vous comparer, on évoque parfois les Monty Python. Était-ce une influence ? À titre personnel oui, et du coup ça a influencé le groupe. Je suis passionné par leur travail. Ils ont transformé ma vie, changé ma vision du monde. Ils m’ont permis de survivre, de me dire : “on peut devenir adulte mais porter ce regard-là sur l’existence”.

Selon vous, quelle fut l’influence des Snuls sur l’humour belge et la télévision ? Je ne sais pas… Devenir humoriste n’a jamais été un de nos rêves. Étant vieux désormais, ça me touche tout de même d’apprendre que la génération suivante nous cite… On a simplement partagé ce qui nous faisait marrer. Mais l’humour a changé aujourd’hui, il est presque devenu obligatoire, et c’est parfois nocif pour le rire lui-même.

Vous avez aussi révélé pas mal de talents, comme un certain Bouli Lanners… Oui, il était accessoiriste, on ne savait pas que c’était un comédien hors pair. On l’a découvert par hasard. On lui avait demandé d’assurer un playback sur une chanson, et il nous a bluffés. C’était vraiment une époque formidable. On était une bande de copains qui s’amusaient et arrivaient à en vivre. Avoir Laurence Bibot et Bouli Lanners à nos côtés rendait les choses encore plus marrantes. Comme si on assistait à leur éclosion.

À quoi va ressembler Santa Belgica, le concert présenté lors du festival FrancoFaune ? Précisons d’abord que ce n’est pas un retour des Snuls. Je suis le seul de la bande à vouloir repartager notre aventure et ressentir ce plaisir morbide ! Sur scène, des musiciens vont reprendre quelques-unes de nos chansons, le tout entrecoupé de nos détournements foireux sur grand écran, comme D’Ostende sans Klaus Tomy ou Hazewee à Laeken. Il y aura des invités aussi…

Lesquels ? Je ne sais pas encore. Peut-être Elton John ? Il est aussi question que Lady Gaga chante Le Petit bout de caoutchouc. On attend confirmation !

Propos recueillis par Julien Damien / Photos extraites du livre Les Snuls sont très connus, CFC-Éditions
Informations
La Louvière, Théâtre de La Louvière
03.10.202320h, 25>8€
Bruxelles, La Madeleine
04.10.202320h, 33€
Chênée, Centre Culturel de Chênée

Site internet : http://www.cheneeculture.be

du lundi au jeudi de 9h à 12h et de 13h à 17h.
Le vendredi de 9h à 12h.

11.10.202320h, 20€

À lire / Les Snuls sont très connus, de Frédéric Jannin et Stefan Liberski, postface de Guillermo Guiz (CFC-Éditions), 272p., 35€, editeurssinguliers.be (sortie le 20.10)

À voir / Les Snuls, de toute façon, dans 20 minutes vous aurez tout oublié. Documentaire de Guillermo Guiz et Gilles Dal (diffusion le 06.09 sur BE1 à 20h30)

À visiter / snuls.com

Santa Belgica

La Louvière, 03.10, Théâtre de La Louvière, 20h, 25 > 8€, cestcentral.be

Bruxelles, 04.10, La Madeleine, 20h, 33€, la-madeleine.be

Liège, 11.10, Centre culturel de Chénée, 20h, 20€, cheneeculture.be

Festival FrancoFaune

Bruxelles & Wallonie, 03 > 18.10, divers lieux, francofaune.be

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