Jaume Plensa
Mons et merveilles
Ses sculptures monumentales sont exposées partout dans le monde, de New York à Rio de Janeiro en passant par Londres ou Bordeaux. Né à Barcelone en 1955, Jaume Plensa s’est révélé avec ses statues de visages allongés ou transparents. L’artiste catalan investit jusqu’en octobre le coeur historique de Mons avec son oeuvre humaniste et hautement spirituelle. De la Grand-Place à la collégiale Sainte-Waudru, ce parcours d’une vingtaine de pièces transforme la cité du Doudou en musée à ciel ouvert.
« L’art ne se touche pas, il se caresse », affirme Jaume Plensa, qui n’aime rien tant que voir le public s’asseoir au pied de ses sculptures totémiques, dont les socles ont été élargis à cet effet. « Le musée est parfois considéré comme un château fort, je suis donc heureux d’exposer en dehors ». Une manière de connecter ses oeuvres avec les gens, le paysage et l’histoire de la ville. Baptisé La Part du sacré, ce parcours empli de spiritualité s’offre ainsi comme une invitation à la contemplation. En témoignent ces trois statues en fonte de fer et hautes de sept mètres qui trônent sur la Grand-Place de Mons, évoquant les mystérieux Moaï de l’île de Pâques.
Beauté intérieure
Puissantes et silencieuses, monumentales et empreintes de légèreté, ces créations représentent des visages de femmes aux yeux clos. Celles-ci semblent en pleine méditation… « Il y a une beauté extraordinaire en chacun de nous, mais qu’on ne regarde jamais. J’espère que le public appréhendera mon travail comme un miroir », confie le Barcelonais. Surtout, ces têtes affichent une particularité : elles sont étirées, et même aplaties, s’élevant vers le ciel mais bien ancrées sur terre. « II y a une perte de matérialité quand on allonge la forme. Lorsque le spectateur tourne autour de la pièce, le visage disparaît… J’adore cette contradiction entre l’invisibilité et l’opacité de la matière, montrer ce qu’on ne voit pas avec des choses tangibles ». Comme une exploration de l’âme ? Il y a de ça. « Je ne peux accepter l’idée que nous serions seulement un corps formé d’organes, d’os et de liquides. Je crois qu’il y a quelque chose de caché en nous, une énergie qui nous tient en mouvement ».
Et la lumière fut
On retrouve ce même contraste saisissant entre la forme et le fond dans la salle Saint-Georges où sont exposés d’autres visages, cette fois en acier inoxydable, et dont la texture évoque la légèreté d’un nuage. À l’entrée, des oeuvres en albâtre laissent les rayons du soleil traverser la pierre, « comme éclairée par une lumière intérieure ». En poursuivant notre chemin à travers la ville, on croise également la sculpture d’un buste réalisée avec les lettres de huit alphabets, de l’hébreu au cyrillique, du latin au chinois, telle une allégorie du partage et de l’échange. Les visiteurs peuvent d’ailleurs s’y abriter « car le langage est aussi une maison ».
Plus loin, en se dirigeant vers les hauteurs du coeur historique de Mons, surgit la collégiale Sainte-Waudru, magnifique édifice religieux de style gothique, élevé au XVe siècle en l’honneur de la patronne de la ville. À l’intérieur, Jaume Plensa présente ses Invisibles, soit d’immenses visages suspendus, « comme des âmes survolant la pièce ». Cette fois, ces têtes ne sont pas aplaties, mais façonnées avec un maillage en acier, les rendant totalement transparentes. « C’est une célébration du vide et de la lumière, la religion décrit très bien cela », dit-il. L’installation s’apprécie alors comme une métaphore de la condition humaine, de notre porosité au monde extérieur, à l’environnement et aux autres. Oui, cette exposition est riche de contrastes, de merveilles… mais en réalité, « elle commencera véritablement lorsqu’elle se terminera, assure notre hôte. Car une fois retirées, les oeuvres vont créer un vide dans le paysage ». En attendant, essayons de les admirer au plus près, et même de les caresser.