Benjamin Rondeau
Let’s talk about self
Si la cantine a parfois mauvaise réputation, elle a en tout cas trouvé en Benjamin Rondeau un drôle d’ambassadeur. Durant une année, cet enseignant a photographié les plateaux-repas préparés chaque jour au restaurant scolaire de son collège, en Seine-Saint- Denis. Publié en 2018, Self-service, une vie de demi-pensionnaire dresse ainsi le « portrait d’un patrimoine culturel à la fois banal et monstrueux, spécifique et universel », selon l’auteur. Bonne dégustation !
Parmi les usagers de la cantine, Benjamin Rondeau se pose là. « J’ai 30 années de pratique derrière moi », revendique ce professeur de Français, qui fréquente les réfectoires depuis qu’il est élève. Alors, sortons la calculatrice : à raison de quatre repas par semaine et de 36 semaines par an, l’intéressé aurait avalé au cours de son existence… plus de 4 300 menus issus de la restauration scolaire ! « On peut donc dire que j’ai une connaissance empirique de la chose », s’amuse-t-il. L’expérience aurait pu en rester là, et alimenter l’élaboration d’un honnête record, mais le demi-pensionnaire professionnel a décidé de la sublimer. Durant une année, il a méthodiquement photographié, chaque jour, les plateaux-repas qui lui ont été servis à la cantine du collège Cotton du Blanc-Mesnil, où il enseigne. En résulte un ouvrage de 64 images, toutes cadrées de la même manière, immortalisant un délirant cortège d’assiettes de poisson pané, poulet-purée, omelette aux pâtes, steak haché, haricots verts à la sauce tomate, frites-saucisses et autres betteraves rouges, carottes râpées, yaourts… Mais pourquoi ?
Cuisine et redondance
« J’ai toujours pris des photos de façon sérielle, comme des plaques d’immatriculation, des vélos abandonnés, explique Benjamin Rondeau. Le jour de la rentrée, j’avais mon appareil et j’ai commencé à shooter mon plateau, car je lui trouvais un aspect très graphique. Il y avait aussi un côté ludique et pop là-dedans, malgré la pauvreté de l’ensemble ». Oh, ne voyez aucune ironie dans cette démarche. C’est même tout l’inverse. À bien y regarder, cette redondance de natures mortes culinaires transforme « la quantité en qualité », servant une « célébration de l’ordinaire ». Quelque part entre l’art et le documentaire, Self-service, une vie de demi-pensionnaire se déguste ainsi comme « l’archive d’un héritage commun », dixit l’auteur de cette folie visuelle, qui prend joliment le contrepied des « clichés de bouffe hyper-esthétisés pullulant sur les réseaux sociaux. Comme si tout pouvait devenir appétissant derrière un filtre ».
En l’occurrence, la technique est ici rudimentaire. « Je constitue mon plateau en essayant de disposer les choses de manière à peu près harmonieuse, avec parfois des tentatives de composition pour raconter de petites blagues avant de le photographier », décrit notre “cantinologue”. Le tout sous une lumière brute, et toujours suivant le même cadrage. Loin de lasser, ces images répétitives d’une désarmante sincérité rendent le banal plus alléchant. En filigrane, elles réhabilitent aussi un espace que Benjamin Rondeau considère comme « l’un des derniers bastions de l’échange humain. Je suis très attaché à ce petit bordel organisé, rythmé par le brouhaha des enfants, et où règne une certaine mixité, dit-il. Ici, chacun se retrouve sur un pied d’égalité, quelle que soit sa classe sociale. Quelque part, la cantine pérennise une vision idéale de la vie en communauté ».
A LIRE ICI / JEREMIE PELTIER, LA SOCIETE SUR UN PLATEAU
À lire / Self-Service, une vie de demi-pensionnaire, de Benjamin Rondeau (Les Éditions du Motel), 92 p., 15€, leseditionsdumotel.fr