Yves Saint Laurent
En toute transparence
Comme celle de Picasso, l’oeuvre d’Yves Saint Laurent est si vaste, si riche qu’on peut l’approcher à travers une infinité d’angles. Jusqu’en mai dernier, le Musée Yves Saint Laurent, à Paris, se plongeait dans ses “ors”, tandis que le Centre Pompidou auscultait l’an passé ses inspirations africaines et surréalistes. À Calais, la Cité de la dentelle et de la mode se penche sur une notion prégnante dans le travail du couturier, mais jusqu’ici jamais observée : la transparence.
À l’évocation d’Yves Saint Laurent surgit d’abord une image : celle d’une femme puissante et sensuelle, à son aise dans un vestiaire jusqu’alors masculin. YSL fut en effet le premier styliste à habiller le sexe dit “faible” en tailleur-pantalon, smoking ou saharienne. Le premier, aussi, à dévoiler le corps féminin, « à une époque où on le cachait, surtout dans la haute couture », observe Shazia Boucher, conservatrice et directrice-adjointe des musées de la ville de Calais. En témoignent ces robes qu’il a signées pour Christian Dior en 1958, soit « des pièces très structurées, baleinées et qui enfermaient la femme dans un carcan ». Dès l’été 1966, peu après la fondation de sa propre maison, le jeune créateur s’émancipe de toutes contraintes pour explorer la transparence du vêtement, notamment grâce à un tissu synthétique nommé Cigaline. Il est d’abord “sage”, révélant (un peu) les bras et raccourcissant les longueurs. Mais deux ans plus tard, en 1968, la See-Through Blouse, comme la baptise la presse américaine, va choquer le public. Cet ensemble smoking-bermuda se porte avec un chemiser translucide, n’éclipsant plus la poitrine, bien au contraire. La même année, la Nude Dress provoque un beau scandale. Pour cause, elle est entièrement conçue en mousseline transparente, avec des plumes d’autruches ceinturant les hanches !
Fenêtres sur corps
À Calais, cette exposition coproduite avec le Musée Yves Saint Laurent Paris réunit une soixantaine de modèles originaux issus des collections de la Fondation Pierre Bergé – Yves Saint Laurent et de la Cité de la dentelle et de la mode. Thématique, le parcours montre comment “le petit prince de la haute couture” joue avec les matières et leur fluidité (organza, tulle, dentelle bien sûr), détourne l’usage de la lingerie (mettant les dessous dessus) ou souligne les découpes, à l’image de cette robe présentée en 1996 par Karen Mulder lors d’un défilé parisien. La robe paraît très sobre vue de face, avec sa coupe stricte et son décolleté carré. Mais en se retournant, le mannequin dévoile deux “fenêtres” des plus audacieuses : au niveau du dos… et des fesses ! Qu’on ne s’y trompe pas sur les intentions : « le fait de dévêtir son modèle ne le transforme pas du tout en femme-objet, commente Shazia Boucher. Toute sa vie, Yves Saint Laurent a voulu créer pour une femme décomplexée, lui donner la même aisance et ce sentiment de puissance que les hommes savourent dans leur costume, tout en célébrant sa sensualité et sa beauté ».
Le créateur mis à nu
À bien y regarder, cette notion de transparence ne s’applique pas seulement aux œuvres d’Yves Saint Laurent, mais aussi à lui-même et à son processus créatif. Outre ce célèbre cliché de Jeanloup Sieff l’immortalisant en tenue d’Adam, la Cité de la dentelle et de la mode expose ainsi, en vis-à-vis des prototypes, une multitude de documents : ses croquis orignaux ou des écrits plus techniques mais ô combien précieux, comme les feuilles de bible. « Cette fiche sert de base de travail à l’ensemble des intervenants, tout au long de l’élaboration du vêtement, explique Domitille Éblé, curatrice et chargée de collection d’arts graphiques au Musée Yves Saint Laurent Paris. Elle compile des informations détaillées comme le nom du fournisseur, des échantillons de tissu ou même le nom du mannequin ». Entre chaque vitrine, les photographies de Patricia Canino, monumentales, nous invite littéralement à explorer la matière tandis que des citations du couturier jalonne le parcours, comme une voix discrète mais omniprésente accompagnant les pas du visiteur. D’ailleurs, laissons-lui le mot de la fin : « L’important avec les transparences, c’est de garder le mystère… Je pense avoir fait le maximum pour l’émancipation des femmes. J’ai créé des vêtements qui entrent tout à fait à leur aise dans le XXIe siècle ».