Benjamin Lacombe
Monstres et merveilles
Peuplée de monstres et de personnages aux grands yeux, son oeuvre onirique est désormais connue à travers le monde. Figure de l’illustration contemporaine, Benjamin Lacombe investit le château d’Hardelot, à Condette dans le Pas-de-Calais. D’Alice à Dorian Gray, en passant par les contes d’Edgar Allan Poe, le Parisien ausculte la littérature victorienne à travers ses peintures, dessins ou sculptures, et nous invite à passer de l’autre côté du miroir…
Entrer dans l’univers de Benjamin Lacombe, c’est sauter à pieds joints dans celui du conte. Un monde où le merveilleux côtoie le macabre et dans lequel se rencontreraient Tim Burton et Walt Disney, Guillermo del Toro et Léonard de Vinci, pour ne citer que quelques références de l’auteur et illustrateur français. Au château d’Hardelot, son travail a trouvé un écrin à sa mesure, à travers une exposition réunissant une centaine d’oeuvres issues de ses livres. Le Parisien y déploie sa vision de l’époque victorienne, soit une ère correspondant aux années de règne de la reine Victoria sur le Royaume-Uni, à la fin du XIXe siècle. Une période de prospérité économique comme d’effervescence littéraire, en particulier du genre fantastique, qui fut un moyen pour les artistes de revendiquer une certaine liberté et de lutter contre la rigueur morale.
Règlement de conte
Pourtant, la première salle du parcours est consacrée à… La Petite sirène, d’Andersen. « C’est vrai, il n’a rien d’Anglais, confesse l’intéressé. Mais cet auteur ressuscite des créatures alors tombées dans l’oubli. De plus, le livre est paru l’année de l’accession au trône de Victoria et a largement influencé Lewis Carroll. Sans lui, Alice n’aurait pas existé ». En 2022, Benjamin Lacombe proposait ainsi une singulière interprétation de ce conte, voyant dans la fille du Roi de la mer… un autoportrait de l’écrivain danois. « C’est une allégorie de son histoire d’amour impossible avec Edvard Collin, le fils de son mécène ». À Condette, celle-ci est retranscrite à travers des planches originales, tout en gouache et huile sur papier et « des couleurs très genrées », entre bleu et rose fluo. Le tout accroché sur des papiers peints à la manière de William Morris, autre éminent personnage hantant le manoir victorien…
Famille décomposée
Pour accéder au monde suivant, nous descendons un escalier surmonté d’un gigantesque jeu de cartes. « On chute avec elles comme Alice dans le terrier du lapin ». Nous voici alors dans le pays des merveilles et son troublant jeu d’échelles. « C’est un livre qui parle du passage à l’âge adulte : les membres grandissent, rapetissent… J’ai beaucoup joué sur les flous dans les premiers et arrière plans, comme si un objectif essayait de capter le réel qui se dérobe ». Au centre de la pièce trône une poupée articulée en porcelaine représentant la jeune héroïne, soit l’une des trois sculptures réalisées avec le plasticien Julien Martinez, spécialement pour cette exposition, histoire de « sortir mes personnages du cadre ». Au fur et à mesure de cette plongée dans l’étrange, l’atmosphère s’obscurcit et laisse place au gothique. Nous voici chez les Appenzell, une dynastie de monstres dont l’histoire est racontée à la manière d’un album de famille. « Ici, j’ai utilisé gouache et fusain pour donner l’aspect de vieilles photographies. Certaines toiles sont griffées au cutter pour accentuer l’effet du passage du temps ». Une épopée un poil effrayante, mais apte à séduire les enfants comme leurs parents.
Face au miroir
Longtemps estampillé “auteur jeunesse”, Benjamin Lacombe n’a en effet cessé d’élargir son public au fil des ans, réactivant une tradition perdue depuis le Voyage au bout de la nuit de Tardi, en 1988 : celle du livre illustré pour adulte. En témoigne son adaptation des Contes macabres d’Edgar Allan Poe « Ces images-là sont plus sophistiquées, sombres, et contiennent plusieurs niveaux de lecture, de métaphores ou de références à la peinture classique ». On achève la visite avec Oscar Wilde et son Portrait de Dorian Gray, soit des créations issues d’un livre à paraître en novembre et « terminées une heure avant l’ouverture de l’expo ». Inspiré par Bosie, l’amant du poète, comme par le Tadzio de Visconti, ce personnage androgyne se reflète dans des miroirs déformants accrochés juste en face. « Son visage se transforme alors devant vous… mais le vôtre aussi, révélant cette part de monstrueux enfouie en chacun de nous ». Vous voilà prévenus !
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