Jean-Luc Feixa
Autels particuliers
Les Belges n’ont pas attendu le confinement pour communiquer avec le monde extérieur par des biais détournés. Dans la série Strange Things Behind (Belgian) Windows, le photographe français Jean-Luc Feixa témoigne d’un folklore national bien singulier : l’exposition d’objets hétéroclites derrière ses fenêtres. Dans les rues de la patrie de Magritte se déploie un bazar parfois bizarre, où l’humour et la poésie débordent souvent du cadre.
Bustes égyptiens, autel à la gloire d’Elvis Presley, animaux empaillés, jouets, figurines servant des installations ésotériques… Il s’en passe de belles derrière les fenêtres belges, souvent érigées en musées très personnels et ouverts sur la rue. De cette habitude incongrue, Jean-Luc Feixa a tiré une série de photographies aussi loufoques que poétiques. « Au départ, l’idée était de trouver un sujet simple à réaliser et conciliable avec ma vie professionnelle. Je travaille toute la semaine et dégager des moments libres pour m’adonner à ma passion s’avère compliqué, explique-t-il. Au gré de mes trajets quotidiens, j’avais déjà observé des trucs bizarres derrière les fenêtres. J’ai donc décidé de creuser la question ».
De Bruges à Ostende, de Liège à Charleroi, ce Français installé à Bruxelles arpente depuis trois ans les rues du plat pays « en voiture, à vélo et à pied », en quête de ces avant-scènes dadaïstes, saisies avec un smartphone ou un appareil photo. Familier de l’argentique et du noir et blanc, le natif de Haute-Garonne privilégie ici la couleur et l’efficacité du cadrage. « Le principal problème était d’éviter les reflets lumineux ». Les ennuis, aussi. « J’avoue rester peu de temps sur les lieux, mon activité peut paraître louche… ».
Intimité publique
Ces omissions aboutissent à des scènes intrigantes, à l’image de ce renard en peluche sombrant derrière une vitre, ou de ces citrouilles monstrueuses offrant une anachronique ambiance d’Halloween au quartier. Mais le plus souvent, la pose demeure intentionnelle, et cette version ancestrale d’Instagram fait alors cohabiter kitsch et culture pop, patrimoine et histoires personnelles… Bref, tout et son contraire (dans le sillage de Magritte) : une ventouse pour WC appuyée sur un crâne humain, un bouddha à côté d’une licorne dorée, des bataillons de poupées, de pandas…
Si ce petit théâtre de l’étrange témoigne de la fameuse belgitude, savant dosage entre poésie, humour et excentricité, il révèle beaucoup de l’histoire des villes traversées (ces collections de mineurs, de phares) et surtout une indéniable créativité, consciente ou non. « C’est de l’art brut en fait, les Belges sont vraiment des artistes qui s’ignorent ». Imaginée bien avant la crise du Covid et ses confinements, cette série dit également une certaine solitude. Jean-Luc Feixa y voit ainsi « une volonté de dialogue, de partage. Il s’agit d’ouvrir son intérieur à l’extérieur, dévoilant à la rue des choses parfois intimes ». Une sacrée piste aux étals.
À LIRE / Strange Things Behind (Belgian) Windows de Jean-Luc Feixa (Luster), 208 p., 17,50 €, www.lusterweb.com