Devenir Matisse
Naissance d'un mythe
Comment Henri devint-il Matisse ? A l’occasion des 150 ans de sa naissance, le musée du Cateau-Cambrésis, fondé par l’artiste lui-même en 1952, ausculte les premiers pas et les influences de cette figure (entre autres) du fauvisme. Montée avec des prêts issus du monde entier et de sa famille, cette exposition inédite raconte à travers 250 œuvres du peintre, graveur et sculpteur et 50 autres de ses maîtres (de Cézanne à Goya), la naissance d’un géant.
Rien ne prédestinait Matisse à l’art. Né le 31 décembre 1869 au Cateau-Cambrésis, il grandit dans une famille de tisserands, implantée dans cette région rurale depuis plus de 300 ans. Pas vraiment du sérail, donc. Comme il le dira lui-même : « il n’y avait pas de peintre dans ma famille, pas de peintre dans mon pays ». Nous sommes en pleine révolution industrielle, dans une période d’expansion des grandes usines textiles. La culture n’est alors pas vraiment de mise ici… Son père est le premier à rompre avec la tradition familiale, s’installant comme grainetier à Bohain. Le travail est difficile, il faut livrer de lourds sacs de grain, tirer une charrette. Matisse n’a pas la force physique de prendre la relève. Il suit donc des études de droit à Paris pour devenir clerc de notaire. « Il n’a alors même pas l’idée de visiter les musées de la capitale », relate Patrice Deparpe, le commissaire de cette exposition.
Comment devient-il artiste ? Suite à une banale crise d’appendicite. Le jeune homme est hospitalisé et son voisin de chambre tue le temps avec une petite boîte d’aquarelles. Matisse en réclame une. « C’est une révélation totale ! Dès lors, il persuade ses parents de tout abandonner pour étudier les beaux-arts à Paris ». Les thèmes de ses premières toiles sont tout trouvés : des natures mortes avec ses livres de droit ! Il les signe de son nom à l’envers, “Essitam” – de là à dire qu’il a inventé le verlan…
Copies non-conformes
Matisse s’installe dans un petit appartement sur les quais de la Seine, mais rate le concours d’entrée à l’Académie des Beaux-Arts. Le nu en question est montré au musée du Cateau-Cambrésis, et dénote déjà… « Il ne va pas au bout de la représentation, n’achevant par exemple pas le pied du modèle car il privilégie l’émotion… Mais nous sommes en 1890 et l’académisme, cette espèce de corsetage de l’art, est prégnant ». Remarquant son potentiel, Gustave Moreau l’accepte tout de même dans son atelier. Il lui délivre deux conseils : dessiner dans la rue, sur le vif, pour saisir la vie et les gens. En témoignent ici ses sujets d’études : des scènes de cafés-concerts, petits balayeurs, un homme heureux traversant la chaussée… Le second enseignement est tout aussi essentiel, et constitue l’un des temps forts de cette exposition : s’inspirer des maîtres exposés au Louvre.
Parmi les nombreuses copies de Matisse dévoilées ici, citons La Pourvoyeuse d’après Chardin (« la première fois où il s’intéresse au visage humain ») ou cette réinterprétation quasi cubiste d’une monumentale nature morte du Néerlandais De Heem. Hélas, le Catésien vend peu, car « ses copies sont trop personnelles ». Il ne peut plus nourrir sa femme et ses trois enfants, et retourne à Bohain. « On l’appelle alors “Monsieur triple échec”, car il fut incapable de reprendre l’affaire familiale, d’être clerc de notaire et même artiste ».
Le choc Goya
Nous sommes en 1903. Matisse est prêt à abandonner sa passion, lorsque son père l’emmène aux beaux-arts de Lille, où il tombe sur les tableaux de Goya. « C’est un choc absolu, il décide de rester peintre », soutient Patrice Deparpe. Le Nordiste voyage alors beaucoup, en Bretagne où il s’essaie à l’impressionnisme puis dans le sud de la France, à Saint-Tropez où il découvre, « non pas la couleur, mais l’importance de la lumière sur la couleur ». Après une brève période pointilliste auprès de Paul Signac, il trouve sa propre voie, et crée le fauvisme. Au fond du trou, l’artiste a su rebondir envers et contre tout : l’académisme, la faim… Le parcours de cette exposition s’arrête en 1911, date à laquelle il ferme son académie. Matisse est alors entré dans une nouvelle dimension, celle des Intérieurs symphoniques. « A son tour, il est devenu un grand maître ».
Œuvres commentées par Patrice Deparpe, directeur du musée Matisse
Collioure, rue du soleil (Henri Matisse, été 1905, huile sur toile, 45 x 56 cm)
C’est une toile importante de nos collections et l’une des toutes premières œuvres fauves. Ce travail s’est produit sur une très courte période. Le tableau est décisif car construit avec la couleur et non par le dessin. De plus, Matisse comprend ici une chose primordiale : il laisse du blanc. Pourquoi ? Parce que votre œil, de façon automatique, effectue lui-même la complémentaire entre les couleurs. Il comble le vide. Dès lors, le spectateur devient acteur et l’émotion est d’autant plus forte car c’est vous qui la créez. Dans cette toile, on sent la chaleur, la vibration de la lumière… c’est le tout début d’une révolution artistique.
Personnage assis (anonyme, peuple Vili, République démocratique du Congo, avant 1912, bois sculpté)
Cet objet a appartenu à Matisse, et demeure déterminant dans l’histoire de l’art. Nous sommes en 1906. Il est invité chez les Stein, une famille d’Américains installés à Paris et achetant ses toiles. Sur le chemin, il remarque cette statuette africaine dans une vitrine et l’achète. Il est séduit par la pureté de la ligne, la forme. Lors de ce dîner est aussi convié Picasso, également subjugué par ce petit personnage. Il le dessine toute la nuit et le lendemain matin, le cubisme était né…
Site internet : http://museematisse.lenord.fr
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