Jules-Edouard Moustic
Le gros mix
On connaissait l’humoriste flagorneur, indéboulonnable présentateur du journal de Groland. Un peu moins le mélomane. Quand il ne scrute pas l’info de notre chère Présipauté, Christian Borde, aka Jules-Edouard Moustic, s’éclate derrière les platines. Nouvel artiste associé de L’Aéronef (après son pote Richard Bellia, qui l’a chaudement recommandé), le dernier vestige de “l’esprit Canal” partage avec nous son amour pour la musique. Visite de sa discothèque en toute décontraction, avant un DJ-set et une série de cartes blanches forcément piquantes. Banzaï !
D’où vous vient cette passion pour la musique ? De l’enfance. Ma mère écoutait un peu de classique et mon père des chansons plus populaires. Et puis j’habitais en banlieue, dans un pavillon en briques rouges. Tous les dimanches, un voisin passait du jazz. On avait une cloison commune. J’ai donc découvert cette musique à l’aveugle, ne sachant pas du tout ce que j’entendais. C’était assez génial, souvent du be-bop.
Quel est le premier disque que vous avez acheté ? (1963) – Je suis vieux, hein… C’étaient un peu les concurrents suédois des Shadows, je me démarquais. Comme j’écoutais de la musique avec un cousin qui avait quatre ans de plus que moi, j’avais de l’avance sur mes potes. Puis j’ai enchaîné avec Ray Charles. Et quand Otis Redding est arrivé, je suis tombé à la renverse…
D’une façon générale, quels sont vos artistes ou courants favoris ? Je compare souvent la musique à la nourriture. On peut manger du chocolat tous les soirs, mais rien n’empêche de prendre un oeuf dur en entrée. Par exemple, je m’intéresse à la musique concrète depuis une dizaine d’années. Pour autant, l’esthétique afro-américaine ne me quitte jamais. Des grands classiques jusqu’à son expression plus moderne. Je dirais même qu’à l’heure actuelle, c’est dans le rap qu’on trouve le plus de choses intéressantes.
Rien de très français, donc ? A l’époque, les radios françaises étaient un peu lourdingues. Comme maintenant finalement… La grosse cavalerie.
N’écoutiez-vous donc pas quelques radio pirates du type Radio Caroline? Je ne captais pas bien Caroline, mais plutôt bien Veronica, une radio hollandaise. A tel point que je me suis rendu sur leur bateau. J’avais assisté au concert retransmis en direct de Redbone, des faux Indiens (ndlr: des Californiens…) ayant notamment signé We Were All Wounded at Wounded Knee (1973). Je conseille à tout le monde d’écouter ce groupe qui mine de rien, raconte des choses sur le plan politique, l’éveil des consciences sur la question du racisme, dans une Amérique marquée par la lutte des droits civiques des années 1960.
Achetez-vous encore des disques ? J’arrête pas ! Vinyles, cassettes et CD (rires). Le dernier truc qui m’a interpellé est Molécule, ce type qui a enregistré sur un bateau. Dans le genre, j’adore aussi Chris Watson qui compose avec des trains, sans que ce soit chiant ! Cet album (The Telegraph, 2011) est digne du Pink Floyd de la grande époque.
Y-a-t-il des disques que vous avez usés jusqu’à la corde ? Je cite tout le temps Good Old Boys (1974) de Randy Newman. Je dois avoir cet album en sept exemplaires (vinyle, CD, version remixée, live…). Ce type mériterait d’être anglais tant il est caustique. Les arrangements sont magnifiques et les paroles terribles.
D’autres choses qui vous prennent aux tripes ? Je vénère des artistes comme Ray Charles période Atlantic, Aretha Franklin, Tom Waits. Les débuts de Pink Floyd aussi… jusqu’au jour où ma voisine de palier s’est mise à chanter leurs titres (rires). Sans oublier Prince ou Sam Cooke qu’Otis Redding a sacrément pompé finalement. Mais bon, j’ai tellement de disques qu’aucun morceau ne revient plus qu’un autre. Et puis, je suis toujours à l’affût de découvertes. Certains copains restent bloqués dans un genre ou à une époque. Ce n’est pas mon cas.
L’idée est de rester ouvert sans perdre de vue les fondamentaux ? Tout à fait. A l’image de ce que j’expliquais à mon fils quand il était petit. Je lui avais fait un vilain coup lorsqu’on avait reçu Jamiroquai à Canal + (dans Nulle part ailleurs). Il m’avait dit « j’adore ce type papa ! »… Du coup à la maison, pendant que je lui faisais à manger, je lui ai passé du Stevie Wonder. En lui disant, « tiens, t’as vu j’ai son disque »… Et là, il s’est écrié que c’était génial… A compter de ce jour, il s’est mis au rap pour m’écrabouiller (rires).
Quid des décennies 1980 et 1990 ? Ben, à la fin des années 1970, à part l’arrivée du hip-hop et des punks… c’était une période où on dormait. Au début des années 1980, il y avait des chevelus que je détestais, genre Yes, Genesis… Un tas de trucs qui plaisaient aussi aux profs comme Ange. Tous mes potes à queue de cheval écoutaient ça. Pour moi le rock, faut que ça sente la bière, la sueur !
Rien dans le postpunk ou la new wave ? Si, New Order, ou le premier album de The Cure. J’adorais Devo aussi, Elli & Jacno, Talking Heads. J’achète encore les albums de David Byrne.
Qu’est-ce qui vous a amené derrière les platines ? Chaque année, il y a un bal en juillet et en août dans mon village (ndlr : Guéthary, au Pays-Basque). J’avais l’impression de vivre dans le film Un jour sans fin : tous les ans on se farcissait « Au bal masqué ohé ohé », « Sous les sunlights des tropiques »… C’était dingue, le type passait chaque fois exactement la même chose. Plutôt que de l’étrangler, j’ai décidé de m’y mettre. C’est ainsi qu’est né le Bal2Vieux, en 2010.
Vous avez donc découvert cela sur le tard ? Pas complètement. J’ai débuté à la radio en 1975, à Andorre puis à RMC. Je savais donc enchaîner. Je joue aussi ponctuellement dans le restaurant d’un pote, des sons différents, plus downtempo. Et puis je passais de la musique concrète dans le cinéma d’un petit village à Urrugne, des soirées intitulées “Cinéma sans image”. Enfin, plus modestement, tout jeune déjà je concoctais des K7 pour des copines et des copains. J’y mettais un peu de moi, comme un cadeau.
Alors, qu’est-ce qui fait danser Moustic ? Quand je passe mes titres je suis à donf, je danse en mixant. Récemment, j’ai réécouté une dizaine de fois Crispy Bacon de Laurent Garnier. C’est vachement bien foutu. On sent le truc monter et d’un seul coup “bam” ! Impossible de rester assis. Il y un tas de sons dingues dans l’électro. C’est le registre dans lequel je puise pour foutre le feu. J’affectionne aussi des papys comme Kraftwerk.
Y a-t-il des disques que vous gardez systématiquement à portée de mains ? Bien sûr, j’ai ma petite réserve. Cela dit, ce sont aussi les gens qui guident le mix. Quand ils sont chauds j’enchaîne les trucs brésiliens, arabes, africains… avec notamment un artiste génial comme Bombino. Certains titres retournent aussi la piste de manière inattendue. Lorsque je passe Bella Ciao au Bal2Vieux, les gens deviennent dingues ! Pareil avec le Cri du Kangourou d’Odeurs : j’ai des copains qui me le demandent à chaque fois. On reprend la chorégraphie : mains repliées sur la poitrine, coudes serrés le long du corps en sautillant (rires).
Aucune reprise d’une chanson écrite pour Groland, du type Michel Sardouille ? Non, on n’a pas forcément ces sons sous la main. Je m’octroie toute liberté dans un mix, sans y injecter directement du Groland. Je suis pas au boulot, quoi (rires).
Comment ce projet avec L’Aéronef est-il né ? Grâce à mon copain le photographe Richard Bellia. Il m’a appelé il y a deux mois pour m’expliquer le principe de sa collaboration avec L’Aéronef. On lui a proposé de recommander un artiste pour reprendre la main. Et il a tout de suite pensé à moi. J’ai rencontré l’équipe à Lille, très ouverte, avec laquelle le courant est bien passé. Tout simplement. Cela faisait longtemps que j’avais entendu parler de cette salle. La philosophie me correspond.
Au-delà de votre passage à L’Aéronef, vous retrouve-t-on souvent derrière les platines ? Non. C’est très ponctuel. Je mixe à Sète, au festival de photo (Images singulières) ou à celui de Laurent Garnier à Lourmarin (Yeah). Maintenant, faut que ça reste un vrai plaisir. Je sors des trucs de ma besace comme un passeur. Mais à mon âge, je vais pas démarrer une carrière de DJ (rires).
Carte blanche à J.-Edouard Moustic – Lille, L’Aéronef, 07.10 : Vernissage de l’exposition Tokyo par Marc Allen Upson : 19 h, gratuit // Projection du film L’élan, d’étienne Labroue, 20 h 30, gratuit // Concert des Producteurs de Porcs, 22 h, 12 > 5 €