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De fil en musique

De la palette au métier MARC-CHAGALL (d'après) Les Arlequins, tapisserie

Après avoir présenté ses céramiques puis son travail sur les volumes, la Piscine de Roubaix s’intéresse cette fois à la musique dans la peinture de Chagall. En parallèle, le MUba Eugène Leroy de Tourcoing révèle son oeuvre tissée, magistrale. Redécouvrons celui qu’Aragon nommait « l’homme violoncelle ».

Chagall, un musicien ? Il aurait pu. Enfant, il jouait du violon avec son oncle. Il avait aussi une très jolie voix qu’il faisait entendre à la synagogue, songeant même à devenir chantre comme son grandpère. Il faut dire que dans la communauté juive hassidique où il naquit, la musique était omniprésente. « C’est un vecteur entre l’humain et le divin », souligne Bruno Gaudichon, commissaire de cette exposition qui rassemble plus de 200 toiles, à la Piscine. Finalement, Marc Chagall sera peintre.

Mais la musique ne le quittera pas, traversant toute son oeuvre. De façon évidente, avec les nombreux instruments qui peuplent, par exemple, ces scènes de rue à Vitebsk (Biélorussie) où il grandit. Clarinette, mandoline (dont jouait son frère David)… et puis le violon, bien sûr, qui représente pour Chagall, « les racines mais aussi l’instrument qu’on emporte avec soi, donc l’exil ». Mais cette partition s’entend aussi plus subtilement. Dans le rythme syncopé de ses compositions (L’homme à la tête renversée), l’harmonie des couleurs (L’ange à la palette) ou cette vision symphonique de la peinture, dans La chute de l’ange, « tableau d’alerte » illustrant la montée du fascisme. En fin de parcours, ses vitraux montrent comment « il inonde l’espace avec la couleur, comme le fait le son ».

Mise en relief – Tout aussi singulière, l’oeuvre tissée de Chagall, déployée dans les vastes espaces du MUba de Tourcoing, révèle « sa relation au monumental » selon Evelyne-Dorothée Allemand, conservatrice en chef du musée. L’accrochage rassemble une quinzaine de tapisseries réalisées d’après ses peintures par la licière Yvette Cauquil-Prince, dès 1964. La Parisienne sut gagner la confiance d’un Chagall déçu de sa collaboration avec le Mobilier National, avec qui il réalisa en 1962 une décoration pour la Knesset, mais qu’il jugea peu conforme à son travail. Ici, le visiteur contemple les oeuvres originales accrochées à côté des tapisseries. Entre les deux : le carton (ou patron) réalisé par Yvette Cauquil- Prince. Conçu d’après un agrandissement photographique de la toile, celui-ci est parsemé de lettres et de chiffres qui découpent le tableau en petites zones. « C’est un langage très précis qui permettait ensuite à son équipe de tisser ».

L’épaisseur de la tapisserie permet de restituer le relief de la peinture de Chagall. Elle dépasse, aussi, la « simple » fidélité à la toile pour en livrer une nouvelle lecture. « A travers cette transposition, ou mutation, Yvette Cauquil-Prince accentue plus ou moins certaines parties, c’est un travail très graphique et inventif » commente Evelyne-Dorothée Allemand devant Le gant noir, tableau merveilleusement « transposé » et, en même temps, réinterprété. Un autre Chagall, en somme.

Julien Damien
Informations
Roubaix, Musée d'Art et d'Industrie André Diligent - La Piscine

Site internet : http://www.roubaix-lapiscine.com/

24.10.2015>31.01.2016mar>jeu : 11h>18h // ven : 11h>20h // sam & dim : 13h>18h, 10/7€/ gratuit –18 ans
Tourcoing, MUba Eugène Leroy

Site internet : http://www.muba-tourcoing.fr/

24.10.2015>31.01.2016tous les jours sauf mar : 13h>18h, 5/3€/gratuit –18 ans

 

Œuvre commentée par Evelyne-Dorothée Allemand (Chagall, de la palette au métier au Muba de Tourcoing)

Le gant noir

“Ici, on voit le carton (au centre), la tapisserie finale et le tableau choisi par Yvette Cauquil-Prince pour réaliser la transposition, cette « mutation », comme elle l’appelle. Comme dans la gravure, le carton est réalisé à l’envers avec un système de numéros et de lettres. Soit un langage très précis qui permet à son équipe de liciers de travailler. On remarque qu’Yvette Cauquil-Prince accentue plus ou moins certaines parties du tableau. Dans la tapisserie, on perçoit une réinterprétation des blancs, des jaunes, des blancs bleutés… et aussi l’accentuation du dessin de l’éventail, de la tête. C’est une tapisserie très graphique. Et puis, comme chez Eugène Leroy, une relation s’instaure avec l’œuvre quand le spectateur s’en approche ou s’éloigne : des éléments apparaissent, disparaissent. De près, on peut même penser à une œuvre de Kandinsky. Et puis on remarque l’épaisseur de la tapisserie qui intéressait tant Chagall, et rend possible cette relation entre la couleur, la lumière et la matière.”

 


 

Œuvres commentées par Bruno Gaudichon (commissaire de Chagall, les sources de la musique au Musée de La Piscine, Roubaix)

Marc Chagall, la Chute de l’ange, 1923 – 33 – 47, Bâle, Kunstmuseum © Adago, Parsi 2015 – Chagall

Marc Chagall, la Chute de l’ange, 1923 – 33 – 47, Bâle, Kunstmuseum © Adago, Parsi 2015 – Chagall

La chute de l’ange

“C’est un tableau d’inquiétude et de vigilance. Chagall travaille sur cette toile à partir de novembre-décembre 1923, juste après le putsch manqué d’Hitler. Il prend d’emblée conscience du péril nazi. C’est une peinture sur laquelle il va revenir durant une vingtaine d’années et qui évolue au fur et à mesure que l’information arrive. Chagall l’a gardée toute sa vie, ne l’a jamais vendue. Il la considérait comme un témoignage très fort de son engagement. La figure de l’ange représente la chute des certitudes et des croyances du peuple juif. Ce dernier est représenté par ce personnage à la tête verte, qui tombe. On voit les textes sacrés qu’on est obligé de cacher. L’artiste est au milieu : la tête de l’âne est un avatar de Chagall. On voit aussi le Christ qui porte autour de la taille un tallith : il s’agit du châle rituel dont on s’habille à la synagogue pour la prière. Ainsi, Chagall insiste sur la judéité du personnage du Christ pour inscrire son martyr dans la représentation de la shoah. Chagall montre l’universalité de cette horreur qui, pour lui, n’est pas le drame du peuple juif, mais celui de l’humanité toute entière.”

 

Chagall Marc (1887-1985). Lyon, musée des Beaux-Arts. AM1988-75.

Chagall Marc (1887-1985). Lyon, musée des Beaux-Arts. AM1988-75.

Le Coq

“Le coq est une figure archétypale chez Chagall. C’est à la fois le souvenir de la cour de ferme de Vitebsk, et puis un animal prosaïque qui peut faire de la beauté sur de la merde. Il est celui qui crée le jour, la lumière et les couleurs, qui annonce la sortie de la nuit pour un monde coloré. On remarque aussi que la main  dans cette toile est plus celle d’un chef d’orchestre que celle d’un peintre.”

 

Chagall Marc (1887-1985). Céret, musée d'Art Moderne. AM1988-93.

Chagall Marc (1887-1985). Céret, musée d’Art Moderne. AM1988-93.

Les Gens du voyage

“Le monde du cirque est un autre archétype de son oeuvre. Mais Chagall nomme plutôt ce tableau Les Gens du voyage, car la question du nomadisme lui est très importante. Pour lui, les saltimbanques sont comme le peuple juif : constamment sur la route, ils rejouent leur vie tous les soirs. On remarque ainsi que  l’orchestre est plutôt de type klezmer. Ici, le cirque abolit le temps, on trouve la lune et le soleil dans le même espace-temps.”

 

Marc Chagall, L’Ange à la palette, 1927 – 36, Dépôt du MNAM, Marseille, Musée Cantini

Marc Chagall, L’Ange à la palette, 1927 – 36, Dépôt du MNAM, Marseille, Musée Cantini

L’Ange à la palette

“Autre figure importante : l’ange. Celui-ci symbolise le lien entre le divin et le monde terrestre. Ou encore la mission de l’artiste, consistant à créer un lien entre Dieu et les Hommes. Ici, on note l’influence des vitraux du Moyen Âge dans le traitement des ailes, la présence de Vitebsk en haut à gauche du tableau, en bas la palissade que Chagall voyait depuis sa maison, et puis en bas à droite le couple des amoureux, avec Bella. Le lien avec la musique se manifeste dans l’harmonie des couleurs et la position du personnage, ce peintre qui se tient comme un chef d’orchestre. Ici, chaque couleur renferme une double résonance, symbolique et musicale.”

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