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Âne et conscience

© DR

Un cheval ailé? Ce Pégase-ci est un âne affublé d’un bât photovoltaïque – deux panneaux solaires, donc. Accompagné de Philémon et Arnaud Verley, deux artistes lillois, l’animal a sillonné la campagne macédonienne, chargeant la batterie durant la journée, et produisant de l’éléctricité la nuit venue. A en juger par ces images, on se dit que l’humanitaire a pris un coup dans l’aile.

Durant trois semaines, le duo a parcouru la campagne entourant Kavadarci, accompagné d’un âne prêté par Angel, un fermier du coin. Mais pourquoi la Macédoine ? « Car le mythe de Pégase est né dans cette région, explique le tandem. De plus, le drapeau du pays, un soleil jaune sur fond rouge, faisait sens avec notre projet ».  Ainsi harnaché, on craint quand même que ses ailes de géant ne l’empêchent de marcher. Mais au gré des chemins, cette équipée pas si sauvage a fait parler d’elle, suscitant l’étonnement et l’intérêt des habitants. « Certains n’ont pas accès à l’électricité, poursuit Arnaud Verley. Et en branchant une tronçonneuse sur l’une des prises, nous avons pu couper du bois ».

Un beau projet humanitaire, donc ?

Pas vraiment. « Nous ne défendons pas une logique utilitariste, précise Philémon. Certes, nous sommes concernés par l’écologie ou la marchandisation du vivant, mais nous souhaitons également insuffler de l’absurde dans notre travail ». Un exemple ? « Nous pouvions allumer une clope grâce à Pégase. Mais pour cela, il fallait attendre huit minutes. Pourtant, on avait des briquets sur nous… ». De même, les deux compères vadrouillent toute la journée pour finalement liquider leur énergie en trois heures, à cause d’une lampe plutôt moche et assez énorme. « À travers cette performance artistique, reprend Arnaud, on taquine le culte du green. Aujourd’hui, on trouve des lampes solaires fabriquées en Chine, conçues avec des plastiques guère écologiques et pas du tout recyclables. Mais comme c’est solaire, on nous le vend comme un produit “citoyen”. Nous voulons souligner ce genre de paradoxe ». Ce projet (pas si) farfelu n’est pas achevé. Il se poursuivra bientôt sous la forme d’une exposition : certaines des photographies ici présentes, un film, mais aussi ledit bât, un brin abîmé mais doté d’un supplément d’âme. Morale de l’histoire ? Là où y a de l’électrogène, y a pas de plaisir.

Thibaut Allemand
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